L’accord politique (Kabila-Tshisekedi), qui reconsidère le constitutionnalisme Congolais, renouvelle la question de la place des ‘’accords politiques’’ dans l’ordonnancement juridique et de la relation qu’ils entretiennent avec la constitution.
C’est une grosse polémique qui a vu le jour en République Démocratique du Congo. A l’origine, des propos tenus par le chef de l’État, Félix Tshisekedi, au sujet des résultats de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018. En marge de la 78ème Assemblée générale des Nations Unies, à New-York, le dirigeant congolais a dépoussiéré un vieux dossier. Félix Tshisekedi a, en effet, déclaré qu’il n’y a jamais eu d’arrangement frauduleux entre lui et son prédécesseur, Joseph Kabila.
Corneille Nangaa confirme l’existence d’un accord politique entre Félix Tshisekedi et son prédécesseur, Joseph Kabila. L’ancien Président de la CENI (Commission Électorale Nationale Indépendante) a fait de grosses révélations. « Un accord politique existe bel et bien. Il a précédé la publication des résultats définitifs. J’en suis l’un des corédacteurs », a avancé Corneille Nangaa, ancien proche de Kabila, en exil en Belgique. « Cet accord a été signé, devant témoins, par le Président Tshisekedi et son prédécesseur (Joseph Kabila) et il a été certifié et validé par trois chefs d’État africains qui l’ont félicité du fait qu’il a permis la première passation du pouvoir sans effusion de sang en RDC », a enfoncé l’ancien président de la CENI.
Pour M. Nangaa, Félix Tshisekedi « ne saurait se permettre de falsifier un fait historique majeur, ancré, depuis janvier 2019, dans la mémoire collective congolaise. Il ne saurait non plus se dérober de ses obligations. Il en va de son honneur et de sa dignité, le respect de la parole étant la marque de grands hommes… L’accord politique existe bel et bien et il devra être rendu public ». Non sans mettre en garde : Félix Tshisekedi « ne peut qu’en tirer toutes les conséquences à l’approche de l’échéance du 20 décembre ».
Le Président Félix Tshisekedi a admis, lors de sa visite à Windhoek (Namibie), avoir eu une entente avec son prédécesseur Joseph Kabila, mais pour un gouvernement de coalition.
“C’est un deal que nous avons fait pour que, d’abord, l’alternance se fasse pacifiquement. Donc, il y a eu cette entente, et elle s’est faite pacifiquement pour qu’après les élections législatives et la majorité qui s’en est dégagée, il y ait une coalition avec le camp de M. Kabila, le camp sortant,” a déclaré M. Tshisekedi en réponse à une question de journaliste. “Jusqu’ici, c’est cet accord -si on appelait cela le deal- qu’on peut dire avoir fait pour le Congo. Pour le reste, les discussions vont bientôt commencer pour la formation d’un gouvernement,” a précisé M. Tshisekedi :
”L’accord Kabila-Tshisekedi et la constitution”
Bien que la notion des ‘’accords politiques’’ ne soit pas constitutionnelle, elle en reste au moins une pratique de normativité politique recrudescente dans un contexte de protection ou de retour à la stabilité sociale à la suite de secousses observées. La constitution, par contre, se présente comme l’ensemble des règles qui, au sein de l’État, déterminent les modalités d’acquisition, de conservation, d’exercice et de transmission du pouvoir, ainsi que le régime des droits et libertés des personnes et des groupes.
L’accord politique ‘’Kabila-Tshisekedi’’ est une convention conclue entre les deux, dans le contexte d’une crise interne pour la résorber. L’élaboration résulte d’un besoin de protection des biens, des personnes, et d’une éventuelle poursuite judiciaire contre Kabila et son clan (Usurpation de la nationalité congolaise, corruption, crimes de guerre) et pour Tshisekedi, de chauffer le fauteuil présidentiel pendant un quinquennat dans l’attente d’un éventuel retour de Kabila au poivoir. Ainsi, ce ”deal”n’engage pas la constitution!
L’accord politique Kabila-Tshisekedi n’avait pas constitutionnellement sa raison d’être (si Kabila était Congolais et avait bien géré le pays pendant son règne et si Tshisekedi n’était pas égoïste). Le ‘’deal’’ Kabila-Tshisekedi a cependant crée un conflit de normes entre la constitution et l’orthodoxie juridique. La constitution s’est trouvée alors reléguée au second plan et le ‘’deal’ ’politique acquière une place prépondérante dans l’architecture normative de l’État.
Par exemple, conformément á l’article 78 de la Constitution, le président de la République doit veiller strictement au respect de celle-ci, entre autres nommer un informateur pour identifier une coalition possible de partis majoritaire. Mais on s’en souvient bien, plus de 30 jours après son investiture officielle, Tshisekedi n’avait pas su quoi faire, titubant á gauche et á droite, se grattant le nez, car il a accepté un ‘’deal des démons’’ avec Kabila. On peut remarquer, en cette circonstance, la négation ou la remise en cause du primat de l’ordonnancement juridique sur l’ordonnancement politique.
Ainsi expliqué, la relation entre la constitution et l’accord politique Kabila-Tshisekedi, est marquée par des expériences juridiques et institutionnelles surréalistes, et engendre une série d’interrogations plus tôt que résorber la crise électorale. Se pose ainsi la question de la nature de cette relation et de ses incidences sur la hiérarchie des normes.
”Le caractère anticonstitutionnel de ”deal” Kabila-Tshisekedi
Le caractère anticonstitutionnel de ce ”deal” (la protection inconditionnelle d’un ancien dictateur, de ses bien mal acquis, de sa haute trahison de l’Etat, de l’usurpation de la nationalité congolais, crimes commis contre le peuple Congolais), relativise la portée des systèmes politiques institutionnalisés. On se rend bien compte, finalement, que la politique est moins « saisie par le droit » que le droit par la politique.
La relation entre la constitution et le ‘’deal’’ Kabila-Tshisekedi se cristallise ainsi autour de l’idée de rupture de la cohérence et de l’unité de l’ordre constitutionnel dans son ensemble. Cette rupture est révélée par le bouleversement institutionnel occasionné et par la redéfinition des compétences prévues dans la constitution.
La déstabilisation de l’ordre institutionnel se remarque ainsi dans la reconfiguration du système politique et dans les incidences que les compromis font peser sur le pouvoir exécutif, législatif ou judiciaire. Le pouvoir exécutif d’abord, dans sa nature, passe réellement du monocéphalisme en période normale au bicéphalisme en période de crise.
Par exemple, conformément á l’article 103 de la constitution, le mandat de député nationale commence á la validation des pouvoirs par l’Assemblée nationale et expire á l’installation de la nouvelle assemblée. L’installation de la nouvelle assemblée se fait par la volonté générale, d’après Rousseau. En revanche le ‘’deal’’ Kabila-Tshisekedi avait forcé le président de présider avec un pouvoir exécutif en mode bicéphalisme en période normale, plus tôt qu’en mode monocéphalisme, créant ainsi un contre-poids organisationnel et structurel. Le résultat, nous le savons tous : dans une configuration á la Congolaise, anticonstitutionnelle, le président Tshisekedi et ses députés avaient remplacé la présidente de l’Assemblée nationale et le Président de Sénat.
Le ‘’deal’’, dans ses dispositions, conduit au partage du pouvoir, selon l’approche consociationnelle ou de ‘’power sharing’’. L’accord avait retiré au président le droit constitutionnel de nommer et de démettre discrétionnairement le premier ministre de Kabila. Ainsi la fonction présidentielle, passée au crible par ce ‘’deal’’, a paru un moment perdre de sa superbe et apparait comme simplement honorifique, une désacralisation de la fonction présidentielle, marquée par un réexamen du statut du président de la République.
La fin de ”deal”
La prédominance de ce ”deal” politique a pour conséquence la dénégation de la primauté constitutionnelle, telle que schématisée dans la théorie kelsénienne de la pyramide des normes, c’est-à -dire qu’elle entraine un déclassement des règles constitutionnelles. C’est á dire on fait recours aux dispositions de ce ”deal” plus tôt qu’á la constitution et instances juridiques pour résorber la crise. La sacro-sainte primauté constitutionnelle, telle que la présente la doctrine classique dans la schématisation de la hiérarchie des normes, se trouve ainsi désavouée.
Par exemple : On est, mercredi 13 mars 2019, Emmanuel Macron et Uhuru Kenyatta ont demandé au nouveau dirigeant de la RDC, Félix Tshisekedi, de prendre son indépendance vis-à -vis de l’ancien président Joseph Kabila. Novembre 2019, Félix Tshisekedi lance des “consultations politiques” pour surmonter les tensions au sein de la coalition au pouvoir depuis janvier 2019. Deux poids lourds de l’opposition, Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi, ont salué cet effort de dialogue après leur entrevue avec le chef de l’Etat.
A l’Assemblée nationale, le FCC de Joseph Kabila revendiquait 338 députés sur 500 alors que la plate-forme présidentielle Cap pour le changement (Cach) ne dispose que de 48 élus.
Pour renverser la majorité pro-Kabila, Tshisekedi a donc rallié l’ensemble des 107 députés d’opposition, mais aussi débauché une centaine de députés du FCC – sans parler du Sénat, largement acquis au FCC (93 sénateurs, dont Joseph Kabila lui-même, sur 109), sans une nouvelle élection législative, car une dissolution de l’Assemblée serait une vraie déclaration de guerre aux fidèles de Kabila. En outre, de nouvelles élections législatives coûteraient très cher aux maigres finances de l’Etat (budget prévisionnel de 6,9 milliards de dollars pour 2021).
Kabila contre-attaque par une offensive diplomatique : il avait remis une lettre aux ambassadeurs de la Communauté des États d’Afrique australe (SADC), dans laquelle “Kabila a résumé toutes les violations de l’accord FCC/Cash et les violations de la Constitution par le chef de l’État”. De son côté, Tshisekedi, avait également dépêché des émissaires auprès des présidents rwandais Paul Kagame, égyptien Abdel Fattah al-Sissi, angolais Joao Lourenço, sud-africain Cyril Ramaphosa.Â
Le recul du constitutionnalisme fait place à la suprématie d’un deal politique, qui devient le véritable fondement de l’État, remplaçant ainsi la constitution dans le rôle qu’on lui prête traditionnellement. Dans cette condition, le texte constitutionnel n’a aucun impact sur la vie politique. Le deal devient, par la même occasion, la véritable source de l’exercice du pouvoir d’État.
A titre d’exemple, une provision de ce deal monstre Kabila-Tshisekedi exigerait au président Tshisekedi de faciliter le retour au pouvoir de Kabila en 2023, par le truchement d’une candidature de sa femme : Mme Olive Lembe Kabila, au détriment de toutes les provisions constitutionnelles, juridiques et politiques. Il y a deux détails dont ce deal n’avait pas envisagé:Â
1. Il ne sera pas facile pour Tshisekedi, en cinq ans, de résoudre les problèmes de la RDC. La pauvreté endémique, la pénurie d’eau et d’électricité, les soins de santé, l’éducation, les infrastructures de base, l’assainissement des villes, etc. La situation socio-économique du pays est tellement désastreuse que, tout est prioritaire et requière d’être traité de façon urgente. C’est donc un grand défi pour Tshisekedi de faire face à des situations difficiles telles que celle de la RDC dans un quinquennat.
2. Le retour de Jean Pierre Bemba, dans la scène politique par son adhésion á l’union sacré, a bouleversé les clauses du deal. Ainsi le président a trouvé le courage nécessaire á fracasser les dispositions et incidences de son accord avec Kabila. Qui plus est, Jean Pierre, étant l’archi-ennemi de Kabila, tente, d’après certaines indiscrétions, á faire boire Kabila, ses propres prescriptions des antécédents antérieurs.
Cela étant, le succès du mandat de Félix Tshisekedi dépendra, entre autres, de sa capacité à bâtir la confiance de Congolais et à obtenir leur adhésion à son action gouvernementale. Et, pour maintenir cette confiance, il doit rompre avec cet attelage mal assorti, avec les démons du passé (Kabila et son clan), se faire une nouvelle image de lui-même, libre, adopter une approche axée sur une communication efficace et une gestion transparente, qui soient à l’écoute des besoins de la population.
La relation entre la constitution et l’accord politique Kabila Tshisekedi est caractérisée par des rapports conflictuels et contradictoires. Cette conflictualité conduit au renversement de la pyramide des normes, et favorise en outre la déstabilisation de l’ordre constitutionnel.
La nature de la relation entre la constitution et le ”deal” Kabila-Tshisekedi est atypique ou hétérodoxe dans le contexte Congolais. Elle défie la logique des mécanismes du positivisme classique. La hiérarchie des normes, classiquement admise, n’est pas respectée, reléguant la constitution au second plan face à un ”deal” politique dont la suprématie dans l’ordonnancement juridique de l’État est remarquée.
Par Guylain Gustave Moke
Analyste Politique et Géopolitique/Politologue Congolais