De 1959 à 2024, cela fait exactement 65 ans. Le Rwanda connait, au cours de cette période, des mouvements successifs d’exil massif vers les pays limitrophes et lointains.
Ces mouvements produits par des régimes politiques non inclusifs, parviennent à s’organiser, tant bien que mal, en formations politiques qui revendiquent le retour et leur place dans les institutions du pays d’origine. L’opposition et l’activité politique en exil constituent, de toute évidence, un objet politique se structurant sur le sol étranger avec des répercussions quantifiables sur l’évolution politique de la société d’origine.
Au Rwanda, ce phénomène remonte à 1959 après l’exil massif des Rwandais majoritairement de la classe sociale tutsie, suivi de celui des Hutus, en 1994. Chaque exode massif est suivi d’autres formes d’exil issues de toutes les classes sociales. Dans bien des cas, il s’agit d’individus qui tentent d’échapper au harcèlement et à la persécution d’un régime installé, tolérant de moins en moins la diversité d’opinion.
Les éléments dont on dispose pour les deux grandes vagues d’exil, celle de 1959 et de 1994, montrent que la communauté internationale protège et donne raison, dans un premier temps, aux régimes nouvellement installés, auteurs de l’exil. Les réfugiés innocents et coupables des faits reprochés par les régimes respectifs, sont coulés dans un même moule.
Les premières années d’exil sont fatales pour les Rwandais, sédentaires et naturellement habitués à vivre chez eux, entourés de leurs biens et familles. Cela vaut tout autant pour les Tutsis que pour les Hutus ; les premiers ayant fui pour s’installer dans les zones à risque en Ouganda, au Burundi ou ailleurs. Les seconds s’étant principalement réfugiés dans les brousses et forêts du Congo semées de tous les dangers.
Dans les deux cas, les conditions d’accueil étaient, tant sur le plan sanitaire que sécuritaires, très alarmantes. Des milliers de Rwandais y ont affreusement péri leur vie sous la danse élogieuse de nouveaux systèmes et leurs fanatiques, ivres de joie d’avoir chassé leurs prédécesseurs et de s’être gratuitement emparés de leurs biens.
Pourtant, il s’agit de frères et sœurs que l’histoire a transformé en véritables ennemis séculaires sous un prétexte ethnique, mal documenté et faussement exploité.
Sans pour autant nier les crimes parfois les plus graves et d’autres formes de violences commises par les systèmes poussés vers l’exil, il est subséquemment impératif d’éviter tout amalgame qui condamne aveuglement tous les réfugiés, pris en otage pour la plupart, par les régimes politiques en fuite
Les réfugiés rwandais installés en terre étrangère, quelles que soient les conditions d’accueil, sont toujours convaincus, bon gré mal gré, de leur retour au pays natal. Les réfugiés tutsis de 1959 se sont très vite organisés pour attaquer le Rwanda et tenter de forcer leur retour. Le mouvement militaire appelé « Inyenzi » s’est illustré par diverses attaques menées sur le sol rwandais, seulement à quelques semaines d’exil. Le gouvernement de l’époque les qualifiait de « terroristes » (1), le même qualificatif qu’on retrouve aujourd’hui, utilisé par le gouvernement rwandais pour nommer les groupes armés créés après 1994, majoritairement hutus.
Les réfugiés de 1959 ont tenté différentes formes d’organisations politiques et/ou militaires. Le Front Patriotique Rwandais (FPR), qui a pris le pouvoir en 1994, est la résultante des constructions idéologiques, des essais et erreurs politiques.
On citera en l’occurrence RANU (Rwandese Alliance for National Unity), ascendant direct du FPR, créé en 1979, en Ouganda. Cette formation politique succédait au Rwanda Refugees Welfare Foundation (RRWF), qui était davantage axée sur l’assistance aux réfugiés. D’autres organisations politiques antérieures, notamment le FLR (Front de libération du Rwanda), créé au Burundi en 1965 ou encore l’OJR (Mouvement de la jeunesse Rwandaise) créé en Ouganda, ont survécu quelques années avant de disparaître définitivement.
La prise du pouvoir par le FPR et le retour des réfugiés majoritairement tutsis ont poussé, sans transition, des milliers de Hutus à fuir à la « va-comme-je-te-pousse ». Aujourd’hui, l’opposition rwandaise en exil n’a jamais été autant active et si proche de la société d’origine, les réseaux sociaux interposés.
L’histoire du Rwanda, comme je l’ai déjà écrit, est une série d’épisodes qui se répètent, les mêmes scènes se reproduisant avec de nouveaux acteurs ou simplement les mêmes acteurs défilant dans une variété de costumes ».
Après 1994, l’activité politico-militaire des réfugiés hutus s’est aussi très vite traduite par des attaques menées sur le sol rwandais. Malgré leur neutralisation, dans les années 98, leur poursuite au Congo, le rapatriement de gré ou de force de certains combattants ou civils, l’assassinat ciblés ou arrestation, la branche militaire ne semble pas avoir été totalement anéantie. Le mouvement ALIR (Armée de Libération du Rwanda) et son successeur FDLR (Forces Démocratiques de Libération du Rwanda) ont été, tour à tour, accusés de terrorisme et de génocide, de père en fils. En dépit de ce contexte, le mouvement FDLR est toujours dans le réel ou dans l’imaginaire de l’opinion nationale et internationale.
D’autres mouvements politiques non armées se sont multipliés à l’étranger, au fur et à mesure de la désagrégation du parti unique au pouvoir, le FPR. Ce dernier a connu, au fil de l’eau, des querelles internes, parfois meurtrières, dont les cibles ont pris le chemin de l’exil. Le parti RNC (Rwanda National Congress) est l’un des exemples de mouvements d’opposition créés par les dissidents, dont plusieurs anciens membres du parti FPR et proches du président rwandais.
A l’heure actuelle, une dizaine de mouvements politiques ont été fondés à l’étranger par des réfugiés, Hutus et Tutsis. Ce, pour faire entendre leurs opinions qu’ils ne pourraient certainement pas exprimer s’ils étaient au Rwanda. Certains réfugiés ne semblent avoir épargné aucune piste de solution, au point d’avoir imaginé et créé « un gouvernement rwandais en exil », une première dans l’histoire politique du Rwanda.
Toutes ces tentatives politiques nées ici ou ailleurs ne sont toujours pas animées de tendresse entre les initiateurs de différents mouvements. Ces derniers sont, en revanche, tous animés d’une ambition commune, celle du retour à leur pays natal et participation à la vie active du pays.
Les organisations de la société civile et les mouvements politiques initiés par les réfugiés rwandais deviennent, plus que jamais, incontournables dans la dynamique sociétale rwandaise. Le gouvernement rwandais et la communauté internationale ne devraient pas continuer à fermer les yeux sur cette réalité dont on connait les conséquences dramatiques, quand elle n’est pas prise en compte, avant qu’il ne soit trop tard.
Notre histoire nous apprend, pour conclure, que l’opposition rwandaise en exil aura bientôt 65 ans d’existence. On sait qu’il ne s’agit pas de mêmes acteurs ni les mêmes contextes. En revanche, ce phénomène d’exil politique reste le même, celui qui frappe les fils et filles du Rwanda auxquels les politiques successives ont réussi, fatalement, à faire comprendre qu’ils étaient si différents, au point d’encourager les uns à profiter de la misère des autres.
Si l’opposition actuelle attend son heure de retour au Rwanda pour chasser, à son tour, celle qui l’a chassée, dites-nous, quel sera l’avenir du peuple rwandais ? Ces soixante-cinq ans devraient donner la réponse à cette question et de manière définitive.
Afrik.Com