Les raisons de l’évasion de la prison de Makala à Kinshasa, dans la nuit du dimanche 1ᵉʳ au lundi 2 septembre, demeurent encore inconnues, mais le bilan provisoire est déjà considérable.
Les autorités congolaises font état de la mort d’au moins 129 détenus, dont 24 par balles, après sommation. « Les autres [sont morts des suite d’une] bousculade, par étouffement, et plusieurs femmes ont été violées », a précisé le ministre de l’intérieur, Jacquemain Shabani, dans une déclaration vidéo transmise à la presse.
Vers 02H00 du matin lundi, des coups de feu ont retenti, selon plusieurs riverains interrogés par l’AfriqueDiplo, et les tirs ont continué à résonner pendant de longues heures dans cette partie populaire et résidentielle de la capitale congolaise, selon leurs témoignages.Â
Plusieurs vidéos ont, depuis, émergé sur les réseaux sociaux, dont une filmée à l’intérieur de la prison, la nuit de l’évasion, montrant des détenus tentant de prendre la fuite au son des rafales d’armes automatiques. Les coups de feu ont retenti pendant plusieurs heures, selon des témoignages recueillis par l’AfriqueDiplo. Un autre document vidéo, enregistré lundi matin, laisse apparaître des dizaines de corps inertes, alignés le long du mur d’enceinte du centre pénitentiaire de Makala.
Le lourd bilan humain ne dit cependant pas comment plus d’une centaine de détenus de cette prison surpeuplée, plus grand centre pénitentiaire du pays, ont tenté de prendre la fuite en pleine nuit, un peu avant 2 heures du matin.
Si des coupures d’électricité ont été évoquées, le ministre de la justice, Constant Mutamba, a dénoncé des « actes de sabotage prémédités » et a assuré que « des enquêtes [étaient] en cours ». Le ministère de l’intérieur précise également que 59 prisonniers ont été blessés dans les événements et « déplore l’incendie des bâtiments administratifs, du greffe, de l’infirmerie et des dépôts de vivres ».
Le flou entoure aussi la façon dont les forces de l’ordre congolaises ont réprimé la mutinerie. « La disproportion de la répression est scandaleuse, dans un centre pénitentiaire dont on sait déjà que les conditions de détention sont effroyables », note Hervé Diakiese, avocat et porte-parole du parti d’opposition Ensemble pour la République.
En attendant l’aboutissement de l’enquête qui situera les responsabilités dans cette tentative d’évasion, le vice-ministre de la Justice avance déjà des éléments précis. D’abord, Selon lui, il s’agit plutôt d’un mouvement d’évasion qui est parti précisément du pavillon 4 . Et les responsables de ce drame ne sont pas à chercher bien loin, de l’avis du vice-ministre : « le premier responsable de ceci, ce sont les magistrats qui envoient en prison même de simples suspects », martèle Samuel Mbemba. Avant d’enchaîner : « En droit pénal congolais, la liberté est le principe, la détention est une exception. Ce qui veut dire que la prison est en principe faite pour les condamnés ».
Désormais, c’est le principe du droit pénal congolais qui sera scrupuleusement respecté, à en croire l’officiel. Ce dernier relève que tel que le système fonctionne aujourd’hui, les magistrats, par leurs décisions, annihilent les efforts du gouvernement pour désengorger les prisons. Puisque, « chaque jour, observe Samuel Mbemba, il y a des contingents de véhicules de prisonniers qui arrivent ».
Les autorités n’ont pas fait mention de prisonniers qui auraient effectivement réussi à s’échapper lors de cette opération. La prison de Makala, la plus grande du pays d’Afrique centrale, a une capacité de 1.500 places. Mais elle est largement surpeuplée et les organisations de défense des droits dénoncent régulièrement les conditions de détention dans ce centre pénitentiaire.
Le lieu héberge environ dix fois plus de détenus que ce que sa capacité devrait lui permettre, avec entre 14.000 et 15.000 prisonniers, selon les statistiques officielles. Outre le bilan humain, la tentative d’évasion a entraîné des dommages matériels. Une partie des bâtiments de la prison, principalement ceux hébergeant les services administratifs, a été incendiée, selon le gouvernement.
Le centre pénitentiaire avait déjà subi d’importants dégâts lors d’une attaque par des hommes armés en 2017, qui avait permis à plus de 4.000 détenus de s’évader, dont certains jugés “dangereux” par la police. Les circonstances qui avaient mené a cette évasion massive de la grande prison n’avaient jamais été élucidées, malgré la mise en place d’une commission d’enquête.
Cette tragédie aurait pu être évitée par l’exercice d’une politique d’anticipation à travers une gouvernance politique de qualité. Le carnage des paisibles fidèles de la secte Wazalendo dans la ville de Goma au Nord-Kivu, les récents massacres de Kilwa dans la province du Haut-Katanga ainsi que les dernières tueries dans la cité de Luilu, ville de Kolwezi dans la province du Lualaba , montrent que les événements de Makala ne viennent que rallonger la liste quasi interminable des massacres perpétrés par la propre armée congolaise contre les populations civiles du pays.
En attendant les résultats de l’enquête annoncée qui doit faire toute la lumière sur ces événements et établir les responsabilités, les comptes devraient étre demandés au directeur de la prison, au ministre de la Justice ainsi qu’à son collègue de l’Intérieur.
Par Guylain Gustave Moke