Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov est arrivé lundi en Guinée où il entame une nouvelle tournée africaine, ont indiqué les ministères des Affaires étrangères guinéen et russe. C’est sa première visite dans ce pays depuis 2013, selon la diplomatie russe.
Après une première étape en Guinée, Sergueï Lavrov est attendu au Congo-Brazzaville et au Tchad, trois pays proches de la France, mais qui se tiennent à distance de la lutte d’influence entre Moscou et Paris.
Si l’histoire est un atout pour la Russie – l’Union soviétique fut le premier Etat à reconnaître l’indépendance de la Guinée lorsque, en 1958, Ahmed Sékou Touré a dit « non » au Général de Gaulle et à la Communauté française qu’il proposait –, qui soutint l’économie guinéenne lorsque les relations devinrent exécrables avec Paris, la relation repose aujourd’hui en premier lieu sur des intérêts miniers.
Moscou, en revanche, considère la Guinée – deuxième producteur mondial de bauxite et propriétaire de riches réserves de minerai de fer, d’or et de diamants – comme une destination stratégique pour les investissements.
La bauxite extraite de Guinée représente 40 % de l’apprivoisement du géant russe Rusal, deuxième producteur mondial d’aluminium derrière la Chine. Pour conserver cet acquis, Moscou mène sur place une diplomatie des plus amicales avec les dirigeants successifs.
La Russie a sans doute étendu son influence en Afrique plus rapidement que tout autre acteur extérieur au cours des dernières années, après s’être largement retirée du continent après la Guerre Froide. La Russie a réalisé cette influence élargie même si elle fournit moins de cinq pour cent des investissements étrangers directs en Afrique.
En 2019, Vladimir Poutine a accueilli 43 dirigeants africains pour le premier sommet Russie-Afrique – soit plus que les réunions similaires organisées par Londres ou Paris. À Sotchi, le président russe s’est employé à fustiger les pays occidentaux, qui dictent “leurs conditions politiques ou autres” aux pays africains – une référence à certaines exigences dans le domaine des droits humains. “Nous avons beaucoup à offrir à nos amis africains”, a lancé le maître du Kremlin.
Ce sommet a mis en évidence la stratégie de plus en plus frontale pratiquée par la Russie en Afrique. Après l’annexion de la Crimée, en 2014, qui lui a valu des sanctions internationales, la Russie a multiplié les efforts pour vendre ses armes, extraire des ressources minières et soutenir des régimes vacillants. À présent que le pays est visé par des sanctions bien plus sévères, Moscou pourrait être tenté de redoubler ses activités sur le continent.
L’un des principaux objectifs de la Russie en Afrique est de supplanter l’influence occidentale. C’est ce que l’on constate le plus clairement en République centrafricaine (RCA) et au Mali, où la Russie est devenue le principal partenaire de sécurité du gouvernement civil isolé et compromis de la RCA et de la junte militaire du Mali.
Ce faisant, la Russie cherche à renforcer son statut de grande puissance dont les intérêts doivent être pris en compte dans toutes les régions du monde. Cet objectif a pris une importance accrue à la suite de la nouvelle invasion de l’Ukraine par la Russie, car Moscou cherche à éviter l’isolement international et à démontrer qu’elle reste un acteur mondial viable.
Á titre d’exemple, les nouvelles autorités guinéennes se sont absentées lors du vote des résolutions aux Nations unies condamnant l’invasion russe en Ukraine. Le colonel Mamadi Doumbouya cultive un équilibre diplomatique visant à ne froisser ni les puissances hors du continent ni ses voisins putschistes du Sahel, en ouvrant les portes aux investisseurs russes.
L’objectif stratégique des engagements de la Russie en Afrique est de remodeler l’ordre international fondé sur des règles, inscrit dans la Charte des Nations unies. La remise en cause de principes tels que le respect de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance des États membres – au cœur de l’agression de la Russie à l’égard de l’Ukraine – est un élément central de la vision du monde transactionnelle et fondée sur les relations patron-client que la Russie promeut en Afrique.
La visite de Lavrov démontre que les pays africains estiment qu’il existe une intérêt politique à maintenir des liens avec la Russie,
Par Guylain Gustave Moke
Analyste Géopolitique/Politique