
Les Tchadiens ont commencé à voter lundi pour mettre fin à trois ans de pouvoir militaire dans une présidentielle qui se résume à un duel inédit entre le chef de la junte, le général Mahamat Idriss Déby Itno, et son Premier ministre Succès Masra, ex-opposant rallié à son régime.
Ils sont au total 10 candidats en lice après l’invalidation des dossiers de 10 autres prétendants. Parmi eux, les principaux sont : Mahamat Idriss Déby, actuel président de la Transition et super favori du scrutin ; Succès Masra qui a troqué sa chemise d’opposant contre un costume de Premier ministre de celui dont il combattait farouchement l’action, il y a tout juste quelques mois encore ; d’aucuns ne voient en lui qu’un faire-valoir pour Mahamat Idriss Déby. L’ancien Premier ministre Albert Pahimi Padacké fait également partie des principaux candidats à cette Présidentielle. Les deux premiers (Mahamat Idriss Déby et Succès Masra) ont déjà voté, ce matin.
Suivant le calendrier électoral communiqué, les résultats définitifs de ce premier tour ne sont pas attendus avant le 5 juin, soit dans un mois. Et s’il devait y avoir un second tour, il devra être organisé le 22 juin. Mais, beaucoup de Tchadiens, y compris des organisations de la société civile, étaient convaincus, depuis longtemps, que les dés étaient pipés.
Depuis plusieurs semaines, l’opposition et la société civile tchadiennes n’ont cessé de dénoncer une « mascarade » électorale que la plateforme Wakit Tama a invité la population à boycotter purement et simplement. Pour cette plateforme de l’opposition, le scrutin est « gagné d’avance » par Mahamat Idriss Déby.
Vendredi dernier, c’est au tour de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) de dénoncer une « élection qui ne semble ni crédible, ni libre, ni démocratique », et qui se tient « dans un contexte délétère marqué par (…) la multiplication des violations des droits humains ». Position partagée par l’ONG International Crisis Group (ICG), qui ne cache pas non plus ses « doutes sur la crédibilité du scrutin ». Pour les deux organisations, les deux institutions en charge du scrutin que sont le Conseil constitutionnel et l’Agence nationale de gestion des élections (ANGE), dont les membres sont nommés par Mahamat Idriss Déby, ne semblent pas indépendantes.
Ces ONG mettent aussi en doute « l’indépendance » des deux institutions chargées d’organiser le scrutin et de proclamer les résultats, dont les membres ont été nommés par M. Déby: le Conseil constitutionnel – qui avait invalidé dix candidats dont le remplaçant de M. Dillo – et l’Agence nationale de gestion des élections (ANGE).
Le nouveau code électoral a supprimé l’obligation d’afficher les procès-verbaux (de dépouillement) à l’extérieur des bureaux de vote et permet de ne publier les résultats qu’au niveau régional, ce qui empêchera les observateurs de consolider les résultats par bureau de vote pour vérifier les chiffres.
Au début de la campagne, tous les observateurs prédisaient une victoire massive du président de transition Déby après que ses rivaux les plus dangereux ont été écartés. Mais l’économiste Masra, accusé par ses anciens alliés de l’opposition d’être un « traître » rallié au système Déby et vrai-faux candidat pour « donner un vernis démocratique » au scrutin, est apparu en fin de campagne comme un possible trouble-fête. Capable au moins de pousser le général à un second tour, en drainant des foules imposantes à ses meetings.
Déby et Masra, âgés de 40 ans, se sont dits chacun convaincu d’être élu au premier tour. Huit autres candidats ne peuvent espérer que des miettes, car peu connus ou réputés peu hostiles au pouvoir.
Le 20 avril 2021, après avoir régné 30 ans d’une main de fer sur le Tchad, le maréchal Idriss Déby Itno était tué au front par une des innombrables rébellions qui sévissent depuis l’indépendance de la France en 1960. Quinze de ses fidèles généraux proclamaient son fils Mahamat président d’une transition de 18 mois.
Il était aussitôt adoubé par une communauté internationale – France et Union africaine en tête – prompte à condamner et sanctionner les militaires putschistes ailleurs en Afrique, au motif principal que le Tchad est réputé être le pilier régional de la guerre contre les jihadistes au Sahel.
Mais 18 mois plus tard, la junte prolongeait la transition de deux ans et les militaires tuaient par balle plus de 300 jeunes selon les ONG, une cinquantaine selon le pouvoir, qui manifestaient contre cette extension. Plus d’un millier étaient déportés dans un bagne en plein milieu du désert, et des dizaines exécutés ou torturés, selon les ONG. Les principaux cadres de l’opposition étaient traqués et certains – dont M. Masra – ont fui en exil.
Par Guylain Gustave Moke
Analyste Géopolitique/Politique