
Une tentative de coup d’État a été déjouée en République Démocratique du Congo, hier 19 mai 2024. La situation est désormais sous contrôle, selon les autorités congolaises. Il est fait état de deux morts et de deux ressortissants américains interpellés.
Réveil brutal à La Gombe, et plus précisément au Palais de la Nation, supposément le lieu le plus protégé de la République démocratique du Congo, le Saint des Saints, le siège et la résidence des plus hautes autorités politiques congolaises. Des tirs d’armes automatiques se fracassent d’abord contre les vitres et la façade de la résidence de Vital Kamerhe, actuel vice-président et désigné par Félix Tshisekedi comme le putatif président de l’Assemblée nationale dans quelques jours.
Christian Malenga
Cette « tentative » a impliqué une quarantaine d’hommes, des Congolais et « des étrangers », « trois Américains et un Britannique », ont-elles affirmé, qui sont parvenus à brandir le drapeau du Zaïre, l’ancien nom de la RDC, dans l’enceinte du palais de la Nation. Alors que l’incertitude demeure sur les objectifs de ce commando, dont le chef présumé, Christian Malenga, et trois autres hommes ont été tués, ces évènements fragilisent un pouvoir déjà sous tension à cause d’une guerre dans l’est de son territoire et de fortes incertitudes politiques.

Agé d’une quarantaine d’années, le chef présumé des assaillants, Christian Malenga, est Congolais naturalisé américain . Ce militaire, qui selon plusieurs sources a officié au sein de l’armée de RDC et de celle des Etats-Unis, où il vivait, est une personnalité connue de la diaspora congolaise. « Un brin rêveur », selon un homme politique congolais qui l’a rencontré, il n’en était pas moins « déterminé ».
Il s’était présenté aux élections législatives en 2011 et deux ans plus tard avait fondé un parti politique appelé United Congolese Party, sans ancrage ni poids, mais à la tête duquel il ambitionnait depuis 2015 de renverser le régime congolais, d’abord de Joseph Kabila, puis de Félix Tshisekedi.
Les rumeurs se multiplient dans la journée, faisant état du fait que Christian Malanga serait passé par Brazzaville, capitale voisine, avant de rentrer à Kinshasa, et qu’il aurait été également reçu ces derniers jours par le Cardinal Archevêque de Kinshasa. Sa présence dans la capitale de la RDC n’était donc pas ignorée, ni même dissimulée.
Le profil de cet homme et le déroulé de l’attaque interrogent néanmoins plusieurs analystes sur d’éventuelles complicités dont aurait pu bénéficier le commando et sur les objectifs réels de ce qui a été qualifié officiellement de « tentative de coup d’Etat ».
Vital Kamerhe
Des hommes armés ont attaqué la résidence de Vital Kamerhe et pris d’assaut le palais présidentiel à Kinshasa. Le commando d’une vingtaine d’hommes armés et en treillis serait dirigé par Christian Malanga Musumari, ancien officier militaire et homme d’affaires. Ils ont par la suite hissé le drapeau de l’ex-Zaïre. Après une brève prise de contrôle, les assaillants sont neutralisés par la garde républicaine, tôt ce dimanche.
Il faut comprendre que Vital Kamerhe joue un rôle essentiel dans le jeu politique complexe de la RDC aujourd’hui : c’est l’un des rares alliés de Félix Tshisekedi qui soit originaire et représente politiquement l’Est du pays, emporté dans la rébellion de l’Alliance Fleuve Congo qui inclut désormais les militaires du M23 et grignote petit à petit le Kivu. Il constitue une pièce maîtresse dans la légitimation d’un président dont l’assise politique s’est drastiquement réduite sur le seul Kasaï, suite aux dernières élections, dont personne en RDC ne reconnaît sérieusement les résultats.
Il y a sans doute un »schisme » au sein de l’Union sacrée de la Nation. Vital Kamerhe, un ancien kabiliste, devenu tshisekediste, tombé en disgrâce puis réhabilité, a remporté une élection primaire du parti du président Félix Tshisekedi, le propulsant comme candidat au perchoir de l’Assemblée nationale en RDC et samedi, l’élection à la tête du Parlement de Vital Kamerhe, visé par les assaillants quelques heures plus tard, a été reportée.
Le vote doit désormais avoir lieu dans les prochains jours et faire de cet allié de Félix Tshisekedi le numéro deux de l’Etat dans l’ordre constitutionnel. Une nomination clé alors que le président a dévoilé un projet controversé de révision constitutionnelle, faisant naître des soupçons sur sa volonté de maintien au pouvoir au-delà de 2028.
Félix Tshisekedi
Le début du second mandat de Félix Tshisekedi a été marqué par une forte incertitude politique. Il a fallu plus de trois mois après l’élection présidentielle pour que la nouvelle première ministre soit nommée. Il y a deux Premiers Ministres en même temps, mais plus de gouvernement en place depuis décembre, le Chef de l’État est toujours en voyage, les factions se déchirent sans que l’Assemblée puisse s’organiser et délibérer, six mois après l’élection, et la guerre à l’Est semble sans issue.
Le début du second mandat de Félix Tshisekedi semble partir à la dérive, comme si personne ne tenait le gouvernail, ou comme si des forces politiques étaient à l’oeuvre de manière invisible pour bloquer les institutions et empêcher leur fonctionnement normal.
Après le récent épisode rocambolesque de la disparition du Président Tshisékédi pendant une semaine, qui avait défrayé la chronique, et qui était une véritable mesure de protection contre un putsch redouté contre sa personne, instamment demandée par le vice-président et ministre de La Défense Jean-Pierre Bemba, que ses informateurs avaient averti de l’imminence d’une attaque contre le Chef de l’Etat, la mortelle équipée de Christian Malanga et de sa petite troupe au coeur de La Gombe est un deuxième indice de la fragilité actuelle des institutions républicaines de la RDC.
Depuis son arrivée au pouvoir début 2019 – et réélu à 73 % des voix il y a cinq mois –, ce n’est pas la première fois que Félix Tshisekedi affirme être la cible d’une déstabilisation, mais l’attaque de dimanche est de loin l’évènement le plus sérieux.
Les Raisons d’une tentative de coup d’État
Le bilan fait état d’un assaillant tué. Ainsi que de l’arrestation du fils de ce dernier et de deux ressortissants américains. Selon le porte-parole de l’armée congolaise, le général Sylvain Ekenge, la situation est « maîtrisée ». Cette tentative de coup d’État impliquant « des étrangers et des Congolais » a été « étouffée dans l’œuf », poursuit l’armée.
Depuis son arrivée au pouvoir début 2019 – et réélu à 73 % des voix il y a cinq mois, Félix Tshisekedi peine de redresser le pays. L’est de la RDC est à nouveau en proie à la guerre depuis qu’une rébellion, le Mouvement du 23 mars (M23), est repassée à l’offensive il y a deux ans et demi, soutenue par le Rwanda voisin.
Tout ceci résonne comme un avertissement sanglant au pouvoir sans partage que tente d’imposer Félix Tshisékédi :
S’il ne parvient pas à engager rapidement un véritable dialogue politique avec l’ensemble des forces en présence en RDC, incluant les représentants de toutes les provinces, la République démocratique du Congo pourrait bien être sur la voie de l’éclatement.
S’il persiste sur sa volonté d’ un projet controversé de révision constitutionnelle, les choses ne seront jamais comme avant.
Le message est clair : en s’isolant dans une Tour d’Ivoire, le président congolais pourrait bien prendre la direction du cimetière des Éléphants.
Par Guylain Gustave Moke
Analyste Géopolitique/Politique