Connu pour ses stratégies offensives voire ses coups de force, l’industriel breton Vincent Bolloré se retrouve désormais en position défensive sur fond de soupçons de corruption en Afrique, après avoir aussi vu ses méthodes remises en question ailleurs.
Mis en examen mercredi dans le cadre d’une enquête sur l’attribution de concessions portuaires en Guinée et au Togo, l’emblématique milliardaire de 66 ans a redressé au début des années 1980 le groupe familial, fondé en 1822 et spécialisé dans le papier bible et le papier à rouler OCB.
En le réorientant vers le film plastique pour en faire Bolloré Technologies, il y a ajouté les transports et la logistique pétrolière et portuaire, principalement en Afrique, avant de prendre d’assaut Havas (publicité-communication), en 2005 puis Vivendi (médias), en 2014.Â
A chaque fois, la méthode, appelée depuis “méthode Bolloré” était la même: entrée discrète au capital du groupe visé avant d’en devenir peu à peu le premier actionnaire puis d’en prendre le contrôle en réclamant des sièges au conseil d’administration, et prise en main via l’installation aux commandes de personnes de confiance.
Yeux acier, cheveux blancs encadrant un visage buriné, ce père de quatre enfants a la réputation d’être aussi charismatique avec ses interlocuteurs qu’inflexible en affaires.
Pourtant, le début d’année 2018 n’a pas été conforme aux habitudes pour Vincent Bolloré, avec une mise en lumière des activités africaines du groupe, sur lesquelles l’homme d’affaires tente d’être en général très discret.
Aux côtés de ses affaires, Vincent Bolloré, passé dans sa jeunesse par le secteur bancaire, a toujours su cultiver ses connexions avec les décideurs politiques français, de gauche comme de droite, mises en lumière par le prêt de son yacht à un Nicolas Sarkozy nouvellement élu président de la République, en 2007.
En 2015, il se dit être “à la disposition de son amie Anne” Hidalgo, la maire socialiste de Paris, ville qui sert de vitrine à ses véhicules électriques BlueCar via le système Autolib, pour soutenir la candidature de la capitale à l’organisation de Jeux olympiques de 2024.
Cette proximité avec le pouvoir politique vaut aussi pour un certain nombre de chefs d’Etat africains, le président de Guinée Alpha Condé n’hésitant pas à présenter M. Bolloré comme “un ami”, une proximité désormais au centre de l’attention.
Les activités africaines du groupe Bolloré s’étaient déjà retrouvé dans l’actualité fin 2017, avec le procès à Eseka (centre du Cameroun), qui reprendra en mai, des responsables présumés de la catastrophe ferroviaire dans la même ville, en octobre 2016, qui avait fait 79 morts et 600 blessés. La compagnie ferroviaire Camrail a pour actionnaire majoritaire le groupe Bolloré.
A la suite d’un reportage dans l’émission “Complément d’enquête” qui évoquait les activités de la Socapalm, société spécialisée dans l’huile de palme au Cameroun et diffusait notamment le témoignage de sous-traitants, pour certains présentés comme mineurs, payés à la tâche, travaillant sans vêtements de protection et logeant dans des conditions insalubres.
Le groupe Bolloré, indirectement principal actionnaire, avait porté plainte contre France Télévision, estimant que le reportage portait atteinte à son image et réclamant 50 millions d’euros. La décision est attendue début juin.
Fin mars, le tribunal correctionnel de Paris relaxait trois médias et deux ONG poursuivis en diffamation par la Socfin, une holding propriétaire de plantations en Afrique et en Asie et dont le groupe français Bolloré est actionnaire.
Les ONG ReAct et Sherpa ainsi que les médias Le Point, Mediapart et L’Obs, avaient fait état en avril 2015 d'”accaparements” de terres appartenant aux riverains de ces plantations de palmiers à huile et d’hévéas.
Du côté de Vivendi également, la situation semble plus difficile pour l’homme d’affaires, qui a dû notamment renoncer à mettre la main sur l’éditeur de jeux vidéo Ubisoft en revendant sa participation, après deux ans de bataille avec la famille des fondateurs, les Guillemot.
En Italie la bataille se fait autour de Telecom Italia (TIM), face au fonds américain Elliott, qui tente de lui disputer la gouvernance. Si le groupe français a remporté la première manche, l’assemblée générale du 4 mai marquera une étape potentiellement décisive.
Autant de difficultés auxquelles devront faire face le fils de Vincent, Yannick, qui l’a remplacé à la présidence du conseil de surveillance de Vivendi à l’issue de la dernière assemblée générale du groupe, le 19 avril.
Un début de passage de témoin pour M. Bolloré, qui a énoncé 2022 comme échéance de son départ à la retraite, année marquant à la fois ses 70 printemps et les 200 ans de son groupe.
Par Sandrine Morel