L'ancien président égyptien issu des Frères musulmans Mohamed Morsi, 67 ans, est mort lundi après une audition devant un tribunal du Caire, près de six ans après sa destitution par son successeur Abdel Fattah al-Sissi, alors chef de l'armée.
Ingénieur de 67 ans, M. Morsi fut le premier civil élu à la tête de l'Egypte.
Issu d'une famille d'agriculteurs, il s'était affiché lors de la présidentielle de 2012 comme le garant des idéaux démocratiques de la révolte de 2011 déclenchée par la jeunesse libérale et laïque, mais à laquelle les Frères s'étaient ralliés, par opportunisme selon leurs détracteurs.
Elu député “indépendant” de 2000 à 2005, ce technocrate a gravi les échelons des Frères musulmans sans se faire particulièrement remarquer.
Emprisonné en 2006 pendant sept mois, il est brièvement incarcéré durant le soulèvement contre Hosni Moubarak en 2011. Après la révolte, il prend la tête du parti de la Liberté et de la Justice, vitrine politique des Frères.
Ses détracteurs retiennent ses discours interminables souvent inintelligibles et ses maladresses et gaffes protocolaires lors des rencontres avec des chefs d'Etat.
Les crises se sont succédé, et un an après son élection, le 30 juin 2013, des millions d'Egyptiens sont descendus dans la rue pour réclamer son départ.
Depuis sa destitution par l'armée dirigée alors par Abdel Fattah al-Sissi, élu ensuite président, Mohammed Morsi a été condamné à un total de 45 ans de prison dans deux affaires – incitation à la violence contre des manifestants fin 2012 et espionnage au profit du Qatar.
Il était par ailleurs jugé dans deux autres procès après l'annulation de deux verdicts prononcés contre lui – une condamnation à mort et une réclusion à perpétuité.
Au cours de ses procès, il apparaît dans le box des accusés derrière des parois en verre insonorisées pour empêcher ses diatribes: il ne cesse, prenant un air martial un peu forcé, de se présenter comme le président victime d'un “coup d'Etat” militaire.
Son tombeur, l'ex-chef de l'armée, le général Abdel Fattah al-Sissi, a invoqué ce mouvement pour justifier la destitution de M. Morsi trois jours plus tard et lancer une sanglante répression contre ses partisans.
Policiers et soldats ont tué plus de 1.400 manifestants pro-Morsi en quelques mois. Des centaines ont été condamnés à mort, dans des procès de masse expéditifs, qualifiés par l'ONU de “sans précédent dans l'Histoire récente” du monde.
Mohamed Morsi, décédé lundi après une audition au tribunal au Caire, était considéré comme une marionnette aux mains des Frères musulmans alors au pouvoir. “Il était perçu comme la marionnette des Frères, dont il a placé des éléments à des postes-clés de l'administration, ce qui a irrité la bureaucratie au sommet et la population”, estime professeur Guylain Gustave Moke, politologue.
“Le tribunal lui a accordé le droit de parler pendant cinq minutes (…) Il est tombé sur le sol dans la cage des accusés (…) et a été immédiatement transporté à l'hôpital” où il est décédé, a indiqué le parquet général égyptien dans un communiqué. “Il est arrivé à l'hôpital à exactement 16H50 et il n'y avait pas de nouvelles blessures visibles sur le corps”, a-t-il précisé.
L'ancien président, en détention depuis juillet 2013, comparaissait lundi au sein du complexe pénitentiaire de Tora dans le sud de la capitale égyptienne.
L'un de ses avocats, Abdelmoneim Abdel Maksoud, a déclaré: “nous n'avons même pas pu le voir au tribunal à cause des parois de verre blindé (du box) insonorisé. Mais d'autres détenus nous ont fait signe qu'il n'avait plus de pouls”.
“Je l'ai vu emporté sur une civière dans le complexe judiciaire” de la prison de Tora, a-t-il ajouté, précisant que ni lui ni la famille du président défunt ne savait vers quel hôpital il avait été emmené.
Selon Me Maksoud, ses enfants espèrent le voir enterré dans sa région natale de Charqiya (nord) mais “cette décision relèvera des autorités et non de la famille”.
– “Meurtre à petit feu” –
Dans un message posté sur Facebook, Ahmed, le fils de M. Morsi a confirmé la mort du président déchu.
Le Parti de la liberté et de la justice de M. Morsi, le bras politique des Frères musulmans, a parlé d'un “assassinat”, dénonçant dans un communiqué de mauvaises conditions de détention dont “le but était de le tuer à petit feu”.
En mars 2018, une commission britannique indépendante avait condamné son maintien à l'isolement 23 heures par jour, dans des conditions de détention pouvant “relever de la torture ou du traitement cruel, inhumain ou dégradant”.
“Le refus d'un traitement médical de base auquel il a droit pourrait entraîner sa mort prématurée”, avait déclaré devant le parlement britannique le député Crispin Blunt, président de cette commission.
Le chef de l'Etat turc Recep Tayyip Erdogan, allié de l'ancien président islamiste, lui a rapidement rendu hommage en le qualifiant de “martyr”. L'émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani, a lui exprimé “sa profonde tristesse”.
Selon Jonathan Schanzer, du cercle de réflexion Foundation for Defence of Democracies (FDD), “étant donné les circonstances, Mohamed Morsi sera considéré comme un martyr. Et les théories du complot autour de sa mort vont certainement prospérer”.
Mais selon ce dernier, “les Frères musulmans resteront moribonds en Egypte. Et ils resteront affaiblis dans le reste de la région”.
Dans un communiqué, l'ONG Amnesty International a demandé aux autorités une “enquête immédiate” sur la mort de M. Morsi, qualifiée de “profondément choquante”.
– Répression sans merci –
L'organisation de défense des droits humains Human Rights Watch (HRW) a également réagi. Sa directrice pour le Moyen-Orient et l'afrique du Nord, Sarah Leah Whitson a dénoncé sur twitter “l'échec du gouvernement à lui accorder des soins médicaux adéquats, encore moins des visites de sa famille”.
Le leader islamiste était emprisonné depuis sa destitution par l'armée. Il avait été jugé par la suite dans plusieurs affaires dont un dossier d'espionnage au profit de l'Iran, du Qatar et de groupes comme le Hamas à Gaza.
Le mouvement islamiste au pouvoir dans l'enclave palestinienne s'est dit en deuil après la mort de M. Morsi.
L'ancien président égyptien avait également été accusé de fomenter des actes de terrorisme.
“Il y a eu une pause entre deux séances pour des affaires différentes (…) Ils avaient juste terminé la séance concernant l'affaire d'espionnage”, a dit une source judiciaire lundi après l'annonce de la mort de l'ancien président.
Après l'annonce de la mort de M. Morsi, la télévision égyptienne, soutien du régime actuel, a diffusé en boucle des images de violences et d'attentats, accusant les Frères musulmans de “terrorisme” et de “mensonge”.
Les campagnes médiatiques contre la confrérie, et contre la Turquie et le Qatar qui la soutiennent, sont récurrentes en Egypte.
Les années qui ont suivi le coup de force de l'armée en Egypte ont vu une succession d'attaques visant les forces de l'ordre.
Des centaines de policiers et militaires ont été tués, en même temps qu'émergeait une véritable insurrection jihadiste localisée dans le nord-Sinaï, devenu un bastion du groupe Etat islamique.
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