
Les juges de la Cour pénale internationale en charge du procès de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo et de son ex-ministre de la Jeunesse ont autorisé les avocats de ces derniers à plaider l’acquittement face au dossier incomplet des procureurs de la Cour.
Le procès de Laurent Gbagbo et son co-accusé Charles Blé Goudé, accusé par la CPI de crimes contre l’humanité et crimes de guerre dans la crise postélectorale de 2010-2011 en Côte d’Ivoire prend une nouvelle tournure.
Alors que le dossier d’accusation a été clôturé le 1er juin de même que la présentation des témoins de l’accusation, les juges de la Cour estiment que le dossier de l’accusation reste incomplet au regard des charges portées contre les accusés.
En clair, la Cour demande au substitut du procureur Eric McDonald d‘étayer davantage son réquisitoire et de préciser les allégations contre les accusés. Des injonctions faites depuis l’ouverture du procès en janvier 2016, mais qui visiblement n’ont pas été suivies.
“Malgré quelques changements mineurs concernant un nombre limité d’allégations, le récit global est resté essentiellement le même que celui qui figurait dans le mémoire préalable” du procès ouvert en janvier 2016, écrit le collège de juges dans sa décision rendue le 4 juin.
Un constat que partage la défense de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé qui a d’ailleurs refusé de présenter ses témoins à la clôture de l’accusation, estimant qu’aucune preuve “susceptible de justifier une condamnation” n’a été présentée. Encore moins l’authentification des preuves apportées.
Dès lors, les magistrats estiment que les avocats des deux accusés peuvent plaider l’acquittement de leurs clients. Une requête que les tenants avaient adressée à la Chambre le 23 avril 2018.
Dans son dossier, le substitut du procureur Eric McDonald présente Laurent Gbagbo, de même que son épouse Simone et l’ancien ministre Charles Blé Goudé d’avoir ourdi un plan afin de conserver le pouvoir à tout prix en commettant viols, persécutions, meurtres… lors de la crise postélectorale qui a fait au moins 3 000 morts selon l’ONU
Un complot qui implique en outre l’assassinat ciblé des partisans d’Alassane Ouattara, candidat à la présidentielle de 2010, face à Laurent Gbagbo. En aucun cas, l’accusation évoque le rôle de la rébellion favorable à Alassane Ouattara, accusée par le camp Gbagbo et les ONG de défense des droits humains d’avoir également commis des crimes.
Cette impasse dans le dossier de l’accusation a d’ailleurs suscité des suspicions sur une justice à deux vitesses tant à la Haye qu’en Côte d’Ivoire. La révélation de Médiapart selon laquelle l’ancien président ivoirien a été transféré à La Haye sans mandat d’arrêt par l’ex-procureur de la CPI Moreno Ocampo a amplifié ces doutes.
Dans une enquête sous-titrée “les preuves d’un montage”, Mediapart révèle ainsi que Luis Moreno Ocampo – alors procureur de la CPI (2003-2012) a demandé le 11 avril 2011 aux forces pro-Ouattara de garder prisonnier Laurent Gbagbo avant qu’un pays africain ne demande son transfert devant la CPI. Problème, à cette époque, le procureur ne disposait d’aucun mandat d’arrêt ni de saisine de la CPI. Pour Médiapart, tout laisse à penser que l’arrestation de Laurent Gbagbo a été orchestrée avant même que la Cour ne soit saisie.
Les révélations de Mediapart puisent leur source dans un document confidentiel du ministère français des Affaires étrangères. Un courriel envoyé par un haut responsable français à des individus toujours pas identifiés, le 11 avril 2011 évoque clairement les requêtes de l’ancien procureur. “Un collaborateur d’Ocampo vient de m’appeler… Le procureur souhaite que Ouattara ne relâche pas Gbagbo…), écrit Stéphane Gompertz, un écrivain qui était en son temps en charge des affaires africaines au ministère français des Affaires étrangères.
Dans le détail, les juges de la Cour donnent une dernière chance au procureur de calibrer sa thèse et de la présenter à nouveau au plus tard le 27 août. Mais avant, les avocats de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé devront eux-aussi expliquer dans un mémoire pourquoi à leur avis “la preuve présentée est insuffisante pour justifier une déclaration de culpabilité et à l‘égard de laquelle, par conséquent, un jugement d’acquittement total ou partiel serait justifié”. Un travail attendu au plus tard le 20 juillet. Une confrontation entre ces deux thèses sera alors faite le 10 septembre, lors d’une audience publique.
Après quoi, les juges décideront, sans délai obligatoire de l’acquittement ou non de Laurent Gbagbo et ou de son co-accusé Blé Goudé.
La CPI face aux accusations d’appliquer une justice à deux vitesses à cause de la multiplication des mandats d’arrêt contre des dirigeants africains, L’actuelle procureure de la Cour, Fatou Bensouda, a plutôt fait valoir les efforts de la Cour en faveur des victimes africaines.
Mais de récentes révélations faites par un collectif de journalistes d’investigation européens sur les rouages de la CPI sous l‘ère du procureur Luis Moreno Ocampo (2003-2012) peuvent de nouveau battre en brèche les arguments de la Cour, et conforter ses détracteurs.
Lors d’un sommet en 2017, l’Union africaine s’est fait la voix d’un retrait massif des pays africains de la Cour, accusée de ne prendre pour cible que les dirigeants africains. Une question qui a cependant divisé les Etats membres de l’union. La Côte d’Ivoire, le Nigeria et le Sénégal se sont littéralement opposés à la démarche de l’organisation panafricaine, précisant que le retrait ou non de la CPI restait une décision souveraine.
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