La junte au pouvoir à Ouagadougou dénonce des « tentatives de déstabilisation », tandis que les autorités ivoiriennes ont arrêté en juillet une dizaine de jeunes suspectés d’être allés se former au maniement des armes dans le pays voisin.
Une fois de plus, la junte du capitaine Ibrahim Traoré, au pouvoir au Burkina Faso, a prétendu avoir déjoué « plusieurs tentatives de déstabilisation ». Et une fois de plus, elle a pointé Abidjan comme la base de celles-ci.
Lundi 23 septembre, dans une longue déclaration lue à la télévision nationale, le ministre burkinabé de la sécurité, le commissaire Mahamadou Sana, a évoqué des « civils de divers profils » ainsi que « des militaires et d’anciens militaires ayant quitté le territoire national pour participer à des opérations de propagande et de déstabilisation ». Il a notamment accusé les autorités ivoiriennes d’accueillir des Burkinabés qui, selon lui, « se sont activés dans une entreprise de subversion ». Parmi eux, l’ancien ministre des affaires étrangères Alpha Barry, exilé à Abidjan, nommément cité par Mahamadou Sana.
Ces nouvelles accusations ont une fois de plus irrité les autorités ivoiriennes. Car si ces dernières, à la différence du gouvernement burkinabé, communiquent peu, elles sont convaincues que les militaires au pouvoir à Ouagadougou cherchent à fragiliser le régime d’Alassane Ouattara à l’approche de l’élection présidentielle prévue en octobre 2025.
Au cœur de leurs préoccupations : un réseau d’une cinquantaine de jeunes Ivoiriens qui auraient été envoyés en janvier en bus au Burkina Faso pour être formés au maniement des armes et revenir mener des opérations de déstabilisation en Côte d’Ivoire. Identifiés par les services de renseignement ivoiriens, certains ont été arrêtés quelques jours avant leur départ, mais la plupart ont réussi à franchir la frontière. A leur tête se trouverait Lama Fofana, un ex-rebelle et ex-gendarme ivoirien, décrit par un haut responsable sécuritaire à Abidjan comme un « homme de Guillaume Soro ».
Ce dernier, ancien rebelle qui fut premier ministre et président de l’Assemblée nationale, est l’un des opposants les plus virulents à Alassane Ouattara. En exil depuis 2019, il a trouvé refuge fin 2023 auprès des juntes sahéliennes, adversaires revendiquées des autorités ivoiriennes, et résidait jusqu’à récemment à Niamey. Les tentatives de rapprochement entre le président ivoirien et son ancien allié n’ont rien donné.
Selon les informations du Monde, une dizaine de membres de ce réseau formés au Burkina Faso ont été interpellés en juillet par les services de sécurité ivoiriens après être revenus en Côte d’Ivoire, où ils sont désormais détenus. D’après une source sécuritaire ivoirienne, ils ont été en partie formés au camp Ouezzin-Coulibaly de Bobo-Dioulasso et à Ouagadougou. Selon la même source, ils ont été « encadrés » par les autorités burkinabées, le tout sous la supervision de Lama Fofana, qui serait toujours au Burkina Faso.
Courant septembre, le ministre ivoirien des affaires étrangères, Kacou Houadja Léon Adom, a convoqué le chargé d’affaires burkinabé en poste à Abidjan pour lui signaler l’arrestation de ces individus et lui notifier que son gouvernement était informé de leurs plans. Côté ivoirien, certains présument que la déclaration publique du pouvoir burkinabé de lundi sur les tentatives de déstabilisation déjouées était un contrefeu à une éventuelle communication officielle ivoirienne.
Depuis l’arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré par un coup d’Etat, en septembre 2022, les relations se sont progressivement dégradées entre Ouagadougou et Abidjan, qui s’accusent mutuellement de tentatives de déstabilisation. Incidents réguliers le long de la frontière, parfois ponctués d’arrestations dans le camp d’en face, déclarations belliqueuses… Les épisodes de tension sont fréquents entre les deux pays, historiquement intimement liés.
Fin avril, Tené Birahima Ouattara, le ministre ivoirien de la défense, avait rencontré son homologue burkinabé, le général Kassoum Coulibaly, à Niangoloko, ville burkinabée située à quelques kilomètres de la frontière, pour tenter de mettre à plat leurs nombreux différends. La tentative de rapprochement n’avait pas porté ses fruits.
Une semaine plus tard, le capitaine Traoré en personne, lors d’une interview à la télévision nationale, déclarait que « tous les déstabilisateurs du Burkina Faso [étaient en Côte d’Ivoire], ne se cachent pas » et qu’il y avait « un problème avec les autorités de ce pays ». En juillet, lors d’un discours à Ouagadougou, Ibrahim Traoré avait réitéré ces accusations, affirmant cette fois qu’un « centre d’opérations pour déstabiliser » son pays était installé à Abidjan.