En créant son propre parti en vue de la présidentielle de 2020, l’homme d’affaires béninois Sébastien Ajavon sort de l’ombre et affronte en face à face son rival en politique et en affaires, le président Patrice Talon.
Hormis leurs milliards – ils représentent les deux plus grandes fortunes du Bénin -, les deux ennemis n’ont pas grand-chose en commun.
Ajavon, surnommé “le roi du poulet”, a fait fortune dans l’agroalimentaire en développant la société familiale de produits surgelés. Il reste aux yeux du grand public un “homme du terroir”, proche du peuple. Quant à lui, Patrice Talon, fils de cheminot qui ne doit son ascension qu’à lui-même, apparaît plus distant.
Il n’a pas hésité à se rendre au bureau de vote en Porsche, au premier tour de la présidentielle de 2016, quand Ajavon préfère renvoyer l’image du bon Samaritain, surtout en période électorale, où il se montre particulièrement généreux.Â
Catholique fervent, il fait beaucoup de dons à l’Eglise catholique, dont il est le premier bailleur dans ce pays très religieux. Il a notamment offert un 4×4 flambant neuf à l’ancien président de la conférence épiscopale du Bénin pour sa retraite.
Ajavon a d’ailleurs multiplié les références bibliques lorsqu’il a lancé le week-end dernier son parti, l’Union sociale libérale (USL), à Djeffa, son fief situé à une cinquantaine de kilomètres de Cotonou.
En tenue traditionnelle yoruba, il s’est posé en “sauveur”, appelé par une cause divine. “2016 (sa première campagne électoral, NDLR), fut pour moi mon chemin politique de Damas”, a-t-il affirmé.
“Je suis là avec vous et pour vous”, a-t-il lancé à ses partisans. “Et tant que le Créateur m’en donnera la force (…), je serai présent partout, en tout temps, pour ce combat pour la liberté et le développement.”
Sébastien Ajavon reproche à Patrice Talon d’appliquer la “stratégie de la terreur et du silence”, et de casser le tissu social, avec des mesures “liberticides”, notamment au sein du monde syndical, après des mois de grèves dans la fonction publique.
– Temps de la discorde –
Les deux hommes ont pourtant été alliés pour le second tour de la présidentielle de 2016. Arrivé troisième, Sebastien Ajavon avait appelé ses électeurs à voter pour Talon, le portant au pouvoir face à Lionel Zinsou.
Mais ce rapprochement fut de courte durée. Officiellement, Ajavon n’a reçu que trois portefeuilles au gouvernement contre les six ou sept promis entre les deux tours.
Selon l’un de ses proches, le candidat malheureux a été mis devant le fait accompli “à quelques minutes de l’officialisation du gouvernement”.
Ajavon “a voulu faire affaires avec Talon et voulait se partager le gâteau avec lui, notamment dans le secteur de l’énergie et de la communication, mais il a reçu un coup de poignard dans le dos”, estime un autre homme d’affaires béninois.
Une chose est sûre: “ils ont toujours été opposés l’un à l’autre sur le plan économique, puis politique”, explique Gilles Yabi, politologue béninois et directeur du think-tank Wathi. “Et Talon n’est pas perçu comme quelqu’un qui peut partager le pouvoir.”
– Complot –
Ces deux dernières années, Ajavon a multiplié les ennuis judiciaires: arrêté puis relaxé dans une affaire de drogue, il fait aujourd’hui l’objet d’un redressement fiscal de plus de 254 millions d’euros.
Il a également été accusé d’escroquerie en octobre dernier pour avoir exporté certains produits interdits vers le Nigeria, et sa radio, Radio Soleil, a été suspendue pendant plusieurs mois pour des problèmes administratifs.
Son avocat, Marc Bensimhon, basé à Paris, n’hésite pas à parler de complot, affirmant que le pouvoir tente de “détruire Ajavon”.
“Mon client est pris dans un étau par le biais de l’ensemble de l’appareil de l’Etat”, affirme-t-il à l’Afrique Diplo. “Jusqu’à présent, il est resté discret mais désormais il monte au créneau”, poursuit l’avocat, ajoutant avoir porté l’affaire du redressement fiscal devant la Cour africaine des droits de l’homme.
“Ajavon souhaite-t-il capitaliser sur son score de 22% à la dernière élection (…) ou veut-il se protéger de son redressement fiscal avec une stature d’homme politique” (en fondant un parti) ?, s’interroge M. Yabi.
Le président Talon est lui-même accusé par ses détracteurs de profiter du fauteuil présidentiel pour faire fructifier ses nombreuses sociétés.
Léonce Houngbadji, président d’un parti d’opposition qui a apporté son soutien à Ajavon le week-end dernier, a mis en garde les deux rivaux : “Faire de la politique aujourd’hui ne peut plus, et ne doit plus être un business, un fonds de commerce”, a-t-il asséné lotrs d’un meeting.
Par Bénoit Tall