
Le gouvernement algérien a fait porter au ministre de l’intérieur français, Bruno Retailleau, « la responsabilité entière » de ce regain de tensions entre les deux pays.
La décision de l’Algérie d’expulser 12 fonctionnaires français en rétorsion à une procédure judiciaire en France est « regrettable » et « ne sera pas sans conséquence », a prévenu le chef de la diplomatie française, Jean-Noël Barrot, mardi 15 avril sur la chaîne France 2. « Si l’Algérie fait le choix de l’escalade, nous répondrons avec la plus grande fermeté », a-t-il ajouté, en assurant que la France n’aura « d’autre choix que de prendre des mesures similaires ».
Dans la nuit de dimanche à lundi, les autorités algériennes ont déclaré persona non grata 12 fonctionnaires du ministère de l’intérieur français en réponse à l’arrestation en France, puis à sa mise en détention, d’un agent consulaire algérien.
L’Algérie a défendu lundi soir sa décision « souveraine », en faisant porter au ministre de l’intérieur français, Bruno Retailleau, « la responsabilité entière » de ce regain de tensions. Dans un communiqué, le ministère des affaires étrangères algérien a confirmé que ces 12 personnes, « exerçant auprès de l’ambassade et des consulats de France en Algérie », avaient été « souverainement » déclarées persona non grata et avaient l’« obligation de quitter le territoire national sous quarante-huit heures ».
La diplomatie algérienne a fait savoir que cette décision avait été prise à la suite de « l’arrestation spectaculaire et ostentatoire, sur la voie publique, par les services sous tutelle du ministère de l’intérieur français, d’un agent consulaire » algérien. Un « acte indigne », selon le ministère, qui l’a attribué au ministre de l’intérieur français en estimant qu’il entendait « rabaisser » l’Algérie. Bruno Retailleau « porte la responsabilité entière de la tournure que prennent les relations entre l’Algérie et la France au moment où celles-ci venaient d’entamer une phase de décrispation à la faveur de l’entretien téléphonique » entre les présidents algérien et français, a insisté le ministère. Il a assuré que « toute autre nouvelle action attentatoire du ministre de l’intérieur français recevra[it], sur la base de la réciprocité, une réponse ferme et adéquate ».
« Bruno Retailleau n’a rien à voir avec cette affaire judiciaire », a déclaré mardi Jean-Noël Barrot. « La justice est indépendante. C’est une procédure judiciaire qui a été engagée depuis des mois et qui n’a rien à voir avec le dialogue [diplomatique] que nous avons réinitié » en mars avec les autorités algériennes, a-t-il poursuivi.
Pour quels soupçons cet agent consulaire algérien à Créteil, dûment protégé à ce titre par les règles de l’immunité diplomatique, a-t-il été ainsi appréhendé en peine rue? L’affaire date de 2022 et elle est rocambolesque : il est « soupçonné » d’être impliqué dans l’affaire de l’enlèvement d’Amir Boukhors, alias Amir DZ, le 29 avril 2024, influenceur d’origine algérienne installé en France d’où il dénonce et critique avec virulence les dirigeants de son pays d’origine. Il avait alors prétendu avoir été victime d’un enlèvement par quatre hommes, dont deux portaient un brassard orange de police, selon son témoignage. Il aurait alors été conduit en Seine-et-Marne, drogué puis enfermé dans un conteneur pendant vingt-sept heures, avant d’être relâché dans un bois. Histoire difficile à digérer : ayant obtenu le statut de « réfugié politique » en France depuis novembre 2023, cet homme de 41 ans est par ailleurs visé par neuf mandats d’arrêt internationaux, notamment pour des faits d’escroquerie.
Les charges contre l’agent consulaire algérien sont plutôt légères, puisqu’il ne doit cette suspicion qu’au seul fait que « son téléphone mobile aurait « borné » dans les environs du domicile de l’agitateur numérique Amir DZ« … Ce qui justifie que l’Algérie dénonce « une cabale judiciaire inacceptable« , clairement « destinée à torpiller le processus de relance des relations bilatérales« . Et en effet la sortie de Bruno Retailleau et la mise en scène de cette arrestation contraire aux usages diplomatiques n’ont probablement pas d’autre objectif.
Dès samedi soir, Alger avait exprimé « sa vive protestation » contre le placement en détention de son agent consulaire. Trois hommes, dont l’un employé dans l’un des consulats d’Algérie en France, ont été mis en examen vendredi à Paris pour arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire en relation avec une entreprise terroriste, selon le Parquet national antiterroriste français. Dans cette affaire qui concerne l’opposant au régime algérien Amir Boukhors, influenceur surnommé « Amir DZ », ces hommes sont aussi poursuivis pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. Ils ont été placés en détention provisoire.
Le chef de la diplomatie française a appelé les autorités algériennes à revenir sur leur décision, qui doit être effective dans les heures à venir mardi. « Ma responsabilité (…), c’est de maintenir le contact », a-t-il dit. « Mais si les autorités algériennes persistent, si elles font le choix de l’escalade, eh bien nous répondrons avec la plus grande fermeté », a-t-il fait savoir. « Nous avons toujours dit que nous voulions revenir à des relations normales, que nous voulions sortir des tensions parce qu’elles ne sont ni dans l’intérêt de la France, ni dans l’intérêt des Français, mais c’est évidemment à l’Algérie aujourd’hui de prendre ses dispositions. »
La crise entre Paris et Alger a démarré à la fin de juillet 2024, lorsque le président français a apporté son soutien total à un plan d’autonomie sous souveraineté marocaine pour le Sahara occidental, revendiqué depuis cinquante ans par les indépendantistes du Front Polisario, soutenus par Alger. L’Algérie avait immédiatement retiré son ambassadeur à Paris. Puis les tensions avaient été aggravées par d’autres sujets, dont la question migratoire et l’arrestation de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal.
Par Guylain Gustave Moke