Des trottoirs jonchés de déchets aux vendeurs de rue emballant leurs plats dans des contenants en polystyrène, les déchets plastiques font partie intégrante du paysage urbain de Lagos, la capitale économique du Nigeria et la ville la plus peuplée du continent. Une image qui pourrait bientôt changer alors que le gouvernement local vient d’interdire l’utilisation du polystyrène et du plastique à usage unique.
« Les boîtes en polystyrène sont moins chères que celles en plastique réutilisable », explique à l’AFP Cecilia Mathew, 20 ans, qui vend des plats à base de riz, de viande et de gari, de la farine de manioc, dans les rues du quartier populaire d’Obalende à Lagos. « On ne va quand même pas mettre la nourriture dans des sacs », abonde Funmilayo Oresanya, 43 ans, elle aussi vendeuse de nourriture de rue, une « Mama Put » comme on les appelle en argot local.
L’annonce de l’interdiction des boîtes en polystyrène et des plastiques à usage unique, « avec effet immédiat », a été faite dimanche soir 28 janvier par Tokunbo Wahab, le commissaire à l’environnement de l’Etat de Lagos, sur son compte X. Elle a pris par surprise de nombreux Lagotiens qui vivent du secteur informel et suscite des interrogations sur sa mise en œuvre, y compris parmi les défenseurs de l’environnement.
« C’est trop soudain », explique à l’AFP Kehinde Bakare, 61 ans, vendeuse de boîtes en polystyrène. « Le gouvernement doit nous laisser du temps : comment vont faire les gens qui vivent de ça ? », questionne celle qui demande des « substituts ».Â
La chaîne de fast-food nigériane Food Concepts, connue pour ses restaurants populaires Chicken Republic, PieXpress et The Chopbox, a « applaudi » la mesure, déclarant dans un communiqué lundi « commencer sa transition » pour mettre fin aux boîtes en polystyrène et encourageant ses clients « à venir avec leurs propres contenants ».
Toujours sur son compte X, Tokunbo Wahab publiait mardi une vidéo montrant des agents sanitaires effectuer des contrôles dans la ville. Mais si l’urgence environnementale fait l’unanimité, la mise en œuvre concrète de la mesure éveille quelques scepticismes.
Folawemi Umunna, cofondatrice de l’ONG Initiative pour la protection climatique et écologique, juge la décision d’éliminer les matériaux non biodégradables positive si l’Etat de Lagos gère correctement son plan d’action. « Il s’agit d’une excellente nouvelle pour l’environnement à différents niveaux et, si cette mesure est mise en œuvre de manière efficace, elle permettra de réduire considérablement les émissions de tonnes de CO2 dans l’Etat de Lagos », a-t-elle indiqué à l’AFP lundi.
En 2019, les députés nigérians avaient voté une loi interdisant les sacs plastiques, mais elle est restée lettre morte faute d’être allée au terme de son parcours législatif. Dans la mégapole de plus de 20 millions d’habitants, la question de la gestion des déchets est centrale alors que les détritus bouchent régulièrement les égouts et les conduites d’évacuation, notamment pendant la saison des pluies, causant inondations et favorisant la prolifération des moustiques, vecteurs du paludisme, dans les eaux stagnantes.
Le Nigeria est « le second importateur de plastiques d’Afrique », selon la fondation allemande Heinrich-Böll, soit « 17 % de la consommation plastique du continent » et « plus de 130 000 tonnes de plastique finissent dans les eaux nigérianes chaque année ». « Si rien n’est fait, les importations et la consommation de plastiques dépasseront 40 millions de tonnes d’ici à 2030 », s’alarmait-elle dans un rapport de 2020.
Les microparticules plastiques « sont ingérées par les animaux et peuvent se retrouver chez les êtres humains », explique à l’AFP Temitope Olawunmi Sogbanmu, écotoxicologue à l’université de Lagos, qui insiste sur le caractère « non dégradable » de ces matériaux. Mais si l’interdiction du polystyrène et du plastique à usage unique est une « bonne nouvelle », estime la scientifique, elle craint néanmoins « les conséquences socio-économiques » de cette mesure sur « ceux dont les revenus dépendent de cette chaîne de valeur ».
Vendeurs de nourriture mais aussi d’eau en sachets plastiques, collecteurs de déchets, nombreux sont ceux qui dépendent de cette économie informelle dans un pays qui subit une profonde crise économique avec un triplement des prix du carburant depuis l’arrivée au pouvoir en mai du président Bola Ahmed Tinubu et une inflation à près de 29 % en décembre sur les douze derniers mois.
« De nombreuses personnes vont être appauvries, cela deviendra encore plus difficile de se procurer l’essentiel », estime Mme Sogbanmu, qui préconise la mise en place « d’interventions stratégiques surtout pour les gens les plus pauvres afin qu’ils survivent et ne se tournent pas vers des solutions illégales ». « Le gouvernement doit demander aux gens ce qu’ils veulent et comment il peut les soutenir », consent pour sa part Oluwaseyi Moejho, militante écologiste, « enthousiasmée » par la mesure du gouvernement de Lagos. « Il existait autrefois un Nigeria sans plastique, nous pouvons le faire à nouveau », s’emballe la militante. « Je reconnais que l’utilisation du plastique est pratique mais si c’est au détriment de notre santé et de notre futur, c’est trop cher payé », ajoute-t-elle.
Le Monde