
Lebanese Hezbollah Leader Hassan Nasrallah delivers a televised speech during a ceremony held by the Shiite party in the capital Beirut, commemorating the party's killed leaders, on February 16, 2018. / AFP PHOTO / JOSEPH EID
Alors que les tensions vont crescendo entre Washington et Téhéran, le Liban, petit pays multiconfessionnel du Proche-Orient et principale base du puissant mouvement chiite libanais du Hezbollah, est désormais de plus en pris en étau.
Les États-Unis, allié traditionnel de l'État libanais, y financent massivement l'armée depuis plus de dix ans, tandis que le Hezbollah, soutenu par Téhéran, constitue un poids lourd sur la scène locale et entretient de bonnes relations, voire complémentaires, avec cette même armée.
Dans le collimateur de l'administration Trump et d'Israël, le mouvement chiite est toutefois soumis aux sanctions américaines contre l'Iran et ses alliés, renforcées au cours des trois dernières années.
Le 9 juillet, deux députés du Hezbollah, Amine Cherri et Mohamad Hasan Raad –chef du bloc parlementaire du parti– sont ainsi tombés sous la coupe des sanctions imposées par le Trésor américain. Ils sont accusés d'«exploiter le système politique et financier» du Liban au profit du Hezbollah et de l'Iran.
Les États-Unis ont également sanctionné Wafic Safa, chef de l'appareil sécuritaire du Hezbollah, un mouvement allié de l'Iran et considéré par Washington comme une organisation terroriste. En tout, cinquante membres ou entités liées au Hezbollah ont été placées depuis 2017 sur la liste des sanctions américaines pour terrorisme.

L'Iran, ennemi juré des États-Unis et d'Israël, finance et arme le mouvement chiite depuis sa création en 1982, dans la foulée de la révolution islamique. Les deux alliés sont désormais au cœur des tensions avec l'axe sunnite présent militairement en Syrie, un autre pays voisin de l'État hébreu.
Ces sanctions inédites contre des élus du Hezbollah ont suscité des réactions mitigées au Liban, divisé en interne sur la question des armes du Hezbollah depuis le retrait israélien du sud du pays il y a presque deux décennies, et sur l'intervention militaire du parti chiite en Syrie depuis 2013.
Une réaction unifiée était d'autant plus difficile à adopter que le pays entretient des liens privilégiés avec plusieurs États arabes anti-Téhéran –Arabie saoudite en tête– et occidentaux, notamment la France, ancienne puissance mandataire, mais aussi les États-Unis.
Ces liens, à la fois complémentaires et antinomiques, sont d'autant plus forts et complexes que chaque communauté au Liban est soutenue ou parrainée par une puissance étrangère: les chiites (environ 30% de la population) bénéficient de la protection de Téhéran, les sunnites (25%) sont sous l'aile de Riyad, tandis que les chrétiens (environ 40%) sont traditionnellement appuyés par la France et le Vatican.
Les sanctions américaines ont d'ailleurs été vivement condamnées par le chef du Parlement libanais Nabih Berri –un chiite allié du Hezbollah– qui les a qualifiées d'«agression contre la chambre des représentants et contre le Liban».
Le président libanais Michel Aoun –chrétien maronite, proche du Hezbollah mais non hostile aux États-Unis– a fait part de son «regret», tandis que le Premier ministre Saad Hariri –sunnite, et l'un des principaux adversaires politiques du mouvement chiite– a assuré que ces nouvelles sanctions n'affecteront «ni le travail du Parlement […] ni celui du Conseil des ministres».
Longtemps hors du pouvoir exécutif, le Hezbollah fait partie des gouvernements successifs depuis 2005. Il détient aujourd'hui trois postes ministériels, en sus de treize sièges parlementaires.
Si la caste politique libanaise se retrouve acculée au grand écart, c'est aussi parce que les États-Unis exercent une pression maximale sur le pays –à l'économie déjà vacillante– tout en fournissant une aide exceptionnelle aux institutions étatiques, armée en tête. Des lois financières sanctionnant le Hezbollah et mettant en péril le secteur bancaire libanais –principal créancier de l'État et l'un des rares à se maintenir face aux crises successives– font office d'épée de Damoclès.
En 2015, le Congrès américain avait voté une loi, baptisée Hezbollah International Financing Prevention Act, prévoyant des sanctions contre les banques traitant avec le parti chiite ou impliquées dans du blanchiment d'argent pour son compte.
Un an plus tard, le Bureau de contrôle des avoirs étrangers (Ofac) du département du Trésor américain publiait une liste de 99 noms de personnes physiques ou morales soupçonnées de liens avec le Hezbollah. Le secteur bancaire libanais avait alors obtempéré sans tarder à l'ordre américain de fermeture de leurs comptes.
Des déplacements réguliers à Washington sont effectués par de hauts placés pour tenter d'amadouer les responsables du Trésor américain. «Il est important que nous préservions le secteur bancaire et l'économie libanaise», a encore rappelé le Premier ministre au lendemain des récentes sanctions contre les députés du Hezbollah.
En 2015, la loi votée par le Congrès américain avait déjà été transcrite dans des circulaires de la Banque centrale du Liban. «Au début de la mise en œuvre des circulaires, nous avons fait face à des réactions violentes», avait avoué en 2016 son gouverneur, Riad Salamé, à la chaîne américaine CNBC. Une référence aux déclarations publiques de plusieurs députés du Hezbollah, accusant alors la Banque centrale de se plier aux diktats américains et de «contribuer à une guerre d'élimination interne».
En juin 2016, une bombe a même explosé près d'une banque locale, signe des tensions et tiraillements internes.
Outre les liens avec les États-Unis, le Liban cherche aussi à entretenir, dans ce jeu d'équilibriste, de bons rapports avec l'Arabie saoudite, allié-clé de Washington et poids lourd régional, ainsi que d'autres pays du Golfe, où vivent près de 400.000 Libanais·es. Leurs transferts vers le Liban constituent plus de 40% de la manne de sept à huit milliards de dollars qu'envoient chaque année les expatrié·es libanais·es vers leur pays d'origine.
Plusieurs monarchies de cette région pétrolière ont déjà expulsé des Libanais·es, notamment chiites, ces dernières années, mais l'étendue du phénomène est restée limitée.
Le forcing américain pour éviter que le Liban ne tombe sous la coupe du Hezbollah et de son parrain iranien est d'autant plus explicite et affiché depuis l'arrivée de Donald Trump au pouvoir. «Le Liban et le peuple libanais sont confrontés à un choix: avancer courageusement en tant que nation indépendante et fière ou laisser les sombres ambitions de l'Iran et du Hezbollah dicter leur avenir», avait déclaré en mars, lors d'un passage à Beyrouth, le secrétaire d'État américain Mike Pompeo.
«Les États-Unis continueront à utiliser tous les moyens pacifiques […] pour étouffer le financement, la contrebande du réseau criminel et l'usage abusif de postes gouvernementaux» par le Hezbollah, avait-il également insisté.
Washington utilise aussi la carte du soutien militaire exceptionnel, estimé à plus de 1,5 milliard de dollars depuis 2006. Armes et munitions, chars, véhicules blindés, drones, autres équipements et fortifications militaires, l'aide américaine inclut également des armes sophistiquées antiterrorisme et des programmes d'entraînement.
Fin avril, le commandant en chef de l'armée libanaise a reçu le commandant des forces navales du US Central Command pour parler de coopération en matière de formation et d'équipement des forces navales. Washington cherche ainsi, à travers ce soutien de taille, à renforcer une armée régulière aux dépens du Hezbollah.
Dans la même optique, l'Arabie saoudite et la France ont signé en 2014 un contrat de trois milliards de dollars pour la livraison d'armes au Liban, une aide suspendue par la suite en raison du froid politique entre Riyad et Beyrouth.
Face à cette offensive de charme occidentale, l'Iran tente une contre-offensive. À l'occasion des célébrations des 40 ans de la révolution islamique en Iran, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, s'est dit prêt à fournir son aide pour que l'armée libanaise soit «la plus forte de la région» à travers le soutien de Téhéran.
«Le gouvernement libanais osera-t-il accepter les aides iraniennes? L'Iran est un pays ami, et un pays frère. Pourquoi le Liban est-il effrayé et inquiet?», s'est-il interrogé.