
Une série d’arrestations d’officiers secoue l’armée burkinabè, ravivant les soupçons d’un coup d’État manqué. Alors que la junte reste silencieuse, le climat politique se tend, entre purges internes, défiance croissante et inquiétudes sur la stabilité du pays.
« Le travail minutieux du service de renseignement [a] révélé un grand complot en préparation contre notre pays dont le but ultime [étai]t de semer le chaos total », a indiqué le ministre de la sécurité, Mahamadou Sana, dans une déclaration lue à la télévision nationale.
« La manœuvre devait aboutir, selon le plan des comploteurs terroristes, le mercredi 16 avril 2025, à un assaut sur la présidence du [Burkina] Faso par un groupe de soldats recrutés par les ennemis de la nation », a-t-il indiqué. « Les cerveaux à l’extérieur du pays sont tous localisés en Côte d’Ivoire », a-t-il ajouté, citant notamment le commandant Joanny Compaoré et le lieutenant Abdramane Barry, tous déserteurs.
Depuis l’arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré par un coup d’Etat en septembre 2022, les enlèvements ou les arrestations extrajudiciaires, en particulier de civils considérés comme hostiles au régime militaire et de militaires accusés de complot, se sont multipliés.
Une dizaine d’autres officiers et de sous-officiers, dont le commandant Ouedraogo Frederic, ont été interpellés selon Mahamadou Sana. Mercredi, le capitaine Elysée Tassembedo, commandant du 12e régiment d’infanterie commando et du groupement des forces de sécurité du Nord, basé à Ouahigouya, chef-lieu de la région du Nord, a été arrêté à Ouagadougou.
« Il a été emmené vers une destination inconnue alors qu’il devait prendre part à une rencontre à l’état-major », a indiqué une source sécuritaire. Depuis plus d’un an, la junte a interpellé plusieurs dizaines d’officiers militaires dont l’ex-chef d’état-major de la gendarmerie Evrard Somda, tous accusés de « complot » ou de « tentative de déstabilisation des institutions républicaines ».
La Côte d’Ivoire est régulièrement accusée d’héberger des personnes qui « se sont activées dans une entreprise de subversion » contre le Burkina Faso, selon les autorités militaires.
En juillet 2024, le capitaine Ibrahim Traoré avait affirmé qu’« un centre d’opérations pour déstabiliser » le Burkina était installé à Abidjan. Depuis 2015, le Burkina Faso est pris dans une spirale de violences jihadistes qui ont fait plus de 26 000 morts, civils et militaires, selon l’ONG Acled, qui recense les victimes de conflits.
Cette vague d’arrestations intervient dans un contexte politique particulièrement crispé. Récemment, le capitaine Traoré déclarait ouvertement que le Burkina Faso n’était « pas une démocratie » mais une « révolution progressiste populaire », rejetant ainsi tout modèle occidental de gouvernance.
Une posture qui se reflète aussi dans la liste noire publiée début avril par le ministère de la Sécurité : une trentaine de noms, allant de chefs djihadistes à des journalistes, figures politiques et personnalités civiles, tous qualifiés « d’ennemis de l’intérieur ou de l’extérieur ». Une démonstration de force qui alimente la peur et réduit davantage l’espace du débat public.
Si la transition militaire a été initialement saluée pour son discours anti-corruption et sécuritaire, les récents développements témoignent d’une fracture de plus en plus profonde au sein même de l’institution militaire. À mesure que les arrestations se multiplient, les risques de déstabilisation interne augmentent. Et avec eux, la crainte que l’armée, pilier du régime, devienne elle-même un champ de bataille politique.
Dans un pays déjà fragilisé par l’insécurité, cette instabilité interne pourrait avoir des conséquences désastreuses.
Par Guylain Gustave Moke