
Les dirigeants russe, iranien et turc se sont réunis mercredi à Ankara pour discuter d'un règlement du conflit en Syrie, où les trois pays se sont imposés en maîtres du jeu.
Les présidents turc Recep Tayyip Erdogan, russe Vladimir Poutine et iranien Hassan Rohani ont échangé une poignée de main devant les caméras avant d'entamer les discussions au palais présidentiel à Ankara.
Moscou et Téhéran, qui soutiennent Damas, et Ankara, qui appuie des rebelles syriens, sont les parrains du processus d'Astana qui a notamment permis la mise en place de quatre “zones de désescalade” visant à réduire les affrontements en Syrie.
Mais la quête d'un règlement du conflit syrien, qui a fait plus de 350.000 morts depuis 2011, patine notamment du fait des intérêts contradictoires de Moscou, Ankara et Téhéran et de divergences sur le sort du président syrien Bachar al-Assad.
La dernière rencontre entre les trois dirigeants sur le dossier syrien a eu lieu le 22 novembre à Sotchi, aboutissant à un Congrès national syrien dans la station balnéaire russe qui s'est soldé par un échec retentissant.
L'objectif de ce sommet tripartite est “de réorganiser et de renégocier les zones d'influence” et “réfléchir à l'avenir du nord de la Syrie (…) après le retrait américain”, estime Jana Jabbour, docteure associée au CERI/Sciences Po et spécialiste de la Turquie.
Le président américain Donald Trump a en effet réaffirmé mardi qu'il souhaitait retirer les militaires américains déployés en Syrie dans le cadre de la lutte contre le groupe Etat islamique (EI).
Ce retrait des Etats-Unis laisserait les mains libres à la Turquie, la Russie et l'Iran, qui dominent désormais le jeu sur le terrain.
– ‘Bonnes' perspectives –
Au cours de ce sommet, “il faut tout simplement faire un certain bilan et dessiner les perspectives”, a déclaré le représentant spécial du Kremlin pour la Syrie Alexandre Lavrentiev, cité par l'agence publique russe RIA Novosti, estimant que ces perspectives étaient “en principe bonnes”.
Grâce au soutien de Moscou et Téhéran, le régime d'Assad a réussi à reprendre plus de la moitié du territoire syrien.
Et M. Lavrentiev a estimé mardi que l'armée syrienne devrait reprendre aux rebelles le contrôle total de la Ghouta orientale au cours des “prochains 7-10 jours”.
Assad “a besoin (de Moscou et Téhéran) pour reprendre du terrain et rester à flot économiquement”, souligne Aron Lund, du think-tank américain Century Foundation. “Mais cela ne signifie pas qu'il accepterait, par exemple, qu'on lui dise de démissionner”.
Dans l'autre camp, Ankara a aidé des rebelles acquis à sa cause à prendre le contrôle de larges pans de territoire dans le nord du pays, à la faveur de l'offensive turque contre la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG).
Les militaires turcs aidés de supplétifs syriens ont pris en mars le bastion kurde d'Afrine, et M. Erdogan menace désormais de marcher vers l'est, notamment sur Minbej où des soldats américains sont stationnés aux côtés des YPG, leur allié dans la lutte contre l'EI.
Au cours du sommet, la Turquie espère s'assurer du soutien russe et iranien pour la poursuite de ces opérations.
“En échange (…), la Russie et l'Iran s'attendent à ce qu'Ankara utilise son influence sur des groupes d'opposition pour les ramener à la table des négociations”, analyse Mme Jabbour.
Mais ces discussions s'annoncent compliquées. Cité par l'agence Irna, le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a déclaré mardi soir “qu'aucune justification n'est acceptable pour violer l'intégrité territoriale de la Syrie”.
– ‘Tensions' –
La province rebelle d'Idleb (nord-ouest de la Syrie) reste également un sujet brûlant, surtout si le régime décide de s'y attaquer.
Cette région échappe en effet presque entièrement au contrôle du régime syrien, et est actuellement dominée par les jihadistes de l'ex-branche syrienne d'Al-Qaïda.
Mais il s'agit aussi d'une “zone de désescalade” dans laquelle la Turquie a établi plusieurs postes d'observation, ce qui n'empêche pas le régime d'y effectuer des attaques sporadiques.
“Les tensions russo-turques vont émerger à nouveau lorsque la coalition prorégime se concentrera à nouveau sur la province d'Idleb”, anticipe Elizabeth Teoman, analyste à l'Institute for study of war (ISW).
“Je pense qu'il serait sage de tempérer tout espoir qu'un pays, quel qu'il soit, puisse imposer quoi que ce soit en Syrie”, souligne Aaron Stein, analyste à l'Atlantic Council.
Par Jennifer Birich