Barricades de fortune, quartiers bloqués, gaz lacrymogènes et “expéditions punitives” menées par les forces de l’ordre: la situation était très tendue mercredi dans les deux plus grandes villes du Togo, alors que les manifestations contre le pouvoir prévues par l’opposition ont été interdites.
Le centre de la capitale Lomé était bloqué et presque toutes les boutiques fermées à Deckon, le centre commerçant de la capitale.
“Nous sommes décidés à aller jusqu’au bout. Nous n’avons plus peur des gaz lacrymogènes. La lutte doit continuer”, a confié un manifestant, torse nu, son T-shirt attaché autour de la tête.
La police a eu massivement recours au gaz lacrymogène dans le quartier de Bé, secteur historique de l’opposition d’où devaient partir les marches pour demander la démission du président Faure Gnassingbé, héritier d’une famille au pouvoir depuis 50 ans.
Des groupes de jeunes ont bloqué les grands axes qui entourent le quartier, avec des barricades de fortune faites de briques, de pneus brûlés, de troncs d’arbre ou de carcasses de voitures.
“L’armée quadrille partout et il y a des petits groupes, que l’opposition appelle des miliciens, qui dissuadent les gens de se rendre à la marche avec des gourdins”, a constaté Aimé Adi, directeur pour le Togo de l’ONG Amnesty International.
L’opposition togolaise, qui organise des marches régulières depuis plus de deux mois, avait appelé la semaine dernière à deux nouvelles journées de manifestations mercredi et jeudi.
Le gouvernement avait aussitôt interdit cet appel, annonçant qu’il n’autoriserait plus les marches pendant les jours de la semaine, pour éviter les “violences” et les “dérives”.
“Les points de rassemblement sont pris d’assaut par les forces de sécurité”, a déclaré Eric Dupuy, porte-parole de l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC, opposition). “Nous allons marcher coûte que coûte malgré les intimidations”, a-t-il assuré.
– ‘Calfeutrés chez nous’ –
Toutefois, en début d’après-midi, personne encore n’avait pu se rendre aux lieux de rassemblement à Lomé, ni à Sokodé, deuxième ville du pays, et fief du Parti National Panafricain (PNP, opposition).
“Depuis 03h00 ce matin, les militaires entrent dans les maisons, ils bastonnent les jeunes pour qu’ils n’aillent pas manifester aujourd’hui”, a raconté un habitant, sous couvert d’anonymat. “Nous sommes calfeutrés chez nous (…). Les jeunes fuient en brousse par peur de la répression”, poursuit-il.
Le représentant de l’ANC à Sokodé, Ouro Akpo Tchagnaou, faisait le même constat. “Les corps habillés (forces de sécurité) mènent des expéditions punitives dans les maisons. On frappe tout ce qui bouge”, a-t-il rapporté.
“Ce matin, un chef de quartier a été tabassé par les militaires en sortant de la mosquée”, raconte M. Tchagnaou. “En représailles, la population a brûlé le véhicule du commandant de la brigade d’intervention”.
Mardi déjà, de violents heurts avaient éclaté à Sokodé après l’arrestation d’un imam proche du PNP, faisant quatre morts – deux adolescents et deux soldats lynchés par la foule.
Depuis août, de nombreuses manifestations ont été organisées au Togo, dont celles des 6 et 7 septembre, qui ont rassemblé plus de 100.000 personnes dans Lomé et plusieurs dizaines de milliers dans les villes du nord du pays.
Depuis le 18 août, huit personnes ont été tuées, dont un enfant de 10 ans, trois adolescents et deux militaires, ainsi qu’une centaine de blessés. Amnesty International a également recensé l’arrestation de “plus de 100 manifestants, dont au moins 28 condamnés”.
L’opposition réclame depuis plus de 10 ans une réforme de la Constitution, et notamment la limitation à deux du mandat présidentiel.
Le gouvernement, dans ce contexte de crise socio-politique, a assuré qu’il soumettrait son projet de réforme au peuple “d’ici la fin de l’année”, par voie de référendum.
Mais l’opposition rejette le texte en bloc: la limitation prévue par le gouvernement n’est pas rétroactive et permettrait au président Faure Gnassingbé, élu en 2005 dans la violence, de se représenter en 2020 et en 2025.
Par Guillaume Clerc