Quand les Occidentaux battent en retraite au Sahel, où la Russie renforce son emprise, l’imprévisible Hongrie de Viktor Orban compte prochainement envoyer deux cents soldats au Tchad, une mission inédite pour le pays d’Europe centrale. Symbole de ce rapprochement, le président tchadien Mahamat Idriss Déby est arrivé ce week-end à Budapest et de nouveaux entretiens ont lieu lundi 9 septembre avec le premier ministre hongrois.
Selon le dirigeant nationaliste, « le Tchad est un pays-clé dans la lutte contre l’immigration », ainsi que contre le terrorisme et, au cours de l’année écoulée, la Hongrie, membre de l’OTAN, a nettement intensifié ses relations avec N’Djamena.
Elle a ouvert un centre d’aide humanitaire et une représentation diplomatique, tout en signant des accords dans l’agriculture ou l’éducation. Elle a aussi prévu de déployer des troupes pour former les forces locales contre les djihadistes.
Historiquement peu présent en Afrique, le pays a développé sous l’égide de Viktor Orban une diplomatie tous azimuts, se rapprochant de Moscou, Pékin ou encore de l’Asie centrale. Il lorgne également depuis des années sur le Sahel, où il veut jouer « un rôle militaire plus actif » pour gagner en expérience, explique à l’Agence France-Presse Viktor Marsai, directeur de l’Institut de recherche sur la migration basé à Budapest.
Depuis la fin de la mission de l’OTAN en Afghanistan en 2021, « l’armée hongroise ne dispose plus de théâtre d’opérations où fourbir ses armes dans un environnement raisonnablement risqué », précise-t-il.
La Hongrie voulait initialement rejoindre la « Task Force Takuba » menée par la France au Mali, mais ce groupement de forces spéciales européennes a fait long feu. Ses projets au Niger sont aussi tombés à l’eau après un coup d’Etat en juillet 2023.
Jusqu’à l’annonce soudaine à l’automne 2023 de cette mission au Tchad, qui a surpris les experts. Ce sera la première fois qu’elle « devra tout organiser seule », relève M. Marsai, évoquant un défi pour le pays de 9,6 millions d’habitants. « Ce sera un test pour voir si les forces hongroises sont à la hauteur », souligne-t-il.
D’autant que la France prévoit de réduire drastiquement sa présence en Afrique de l’Ouest et centrale après de cuisantes déconvenues. Le Tchad, Etat pauvre et enclavé de 18 millions d’habitants, est le dernier du Sahel à héberger ses soldats.
L’ancienne puissance coloniale a été chassée par les juntes arrivées au pouvoir à Bamako, Ouagadougou et Niamey, au profit notamment du nouveau partenaire russe. Les Américains ont également dû quitter le Niger. Dans la région, plusieurs pays accueillent des forces paramilitaires issues de la réorganisation du Groupe Wagner.
Dans ce contexte géopolitique troublé, a émergé la crainte que Budapest agisse pour le compte de la Russie, alors que Viktor Orban a encore rencontré début juillet Vladimir Poutine, suscitant la colère de ses partenaires européens. Et la Hongrie a dû réfuter « représenter les intérêts de Moscou ou tout autre intérêt étranger », par la voix de son émissaire spécial au Sahel, Laszlo Mathé.
Malgré ses désaccords avec Budapest, l’Union européenne a « salué » ses nouvelles ambitions, car il est « important que davantage de partenaires internationaux travaillent avec le Tchad », a commenté pour l’AFP un porte-parole de la Commission européenne à Bruxelles.
Mais en Hongrie, les critiques fusent. D’abord sur le rôle joué par Gaspar Orban, 32 ans, unique fils du premier ministre hongrois. Diplômé de l’Académie militaire britannique d’élite de Sandhurst en 2021 et promu capitaine dans l’armée hongroise, cet ancien missionnaire en Afrique a discrètement participé aux négociations, selon une enquête du journal Le Monde et du site d’investigation hongrois Direkt36, publiée début 2024.
Face aux accusations de népotisme, le gouvernement a mis en avant « l’expertise et les connaissances linguistiques » de Gaspar Orban, désormais officiellement nommé « agent de liaison pour aider à préparer la mission au Tchad ».
L’efficacité d’un tel projet interroge aussi, l’opposition dénonçant un inutile « gaspillage d’argent » et une « dangereuse » opération. Même au sein de l’armée, certains émettent des doutes.
En réalité, « on ne sait pas ce qu’on va faire là -bas », confie un responsable militaire de haut rang à la retraite, sous couvert d’anonymat. Et puis, comment deux cents hommes pourront-ils faire la différence dans un pays aussi vaste, sachant qu’un tiers devra rester au camp de base ? lance-t-il.
AfriqueDiplo/AFP