Les femmes, en première ligne du mouvement de contestation ayant fait tomber le pouvoir militaire au Soudan, estiment devoir encore trouver la place qui leur est due dans les nouvelles institutions de transition.
La semaine dernière, la signature de l’accord historique entre la contestation et les militaires, au pouvoir depuis la destitution du président Omar el-Béchir en avril, a été célébrée par des foules en liesse.
Mais lors de la signature, une chose a marqué les esprits: la seule femme présente était la personne chargée d’animer la cérémonie.
“Cette scène était une gifle en plein visage”, a estimé le lendemain Rabah Sadeq, qui milite de longue date pour l’égalité des sexes. “Tant de femmes parlent de (la sous-représentation des femmes), nous devons soulever cette question”, a-t-elle dit.
La signature de l’accord a été suivie de l’investiture mercredi du Conseil souverain, qui devra superviser pendant un peu plus de trois ans la transition vers un pouvoir civil.
Deux femmes figurent parmi les six civils qui composent cette instance avec cinq militaires. Seule l’une d’elles, Aïcha Moussa, était sur la liste proposée initialement par la contestation. Mais l’absence quasi totale de femmes à la cérémonie cinq jours auparavant continue d’indigner, d’autant qu’à part Ibtissam al-Sanhouri, membre de la contestation, elles étaient déjà peu présentes pendant les négociations.
“J’étais très choquée de voir la faible représentation des femmes (dans les nouvelles institutions). Nous voulons jouer un rôle dans le gouvernement civil, comme les hommes”, affirme Sarah Ali Ahmed, une étudiante à Khartoum. “La participation des femmes à la révolution était très importante, elles ont même encouragé des hommes à rejoindre les manifestations”, poursuit-elle.
– Contribution à la révolution –
Le nouveau Premier ministre Abdallah Hamdok, investi mercredi, a abordé le sujet lors des ses premières déclarations aux journalistes.
“Nous devons nous concentrer sur la participation des femmes, les Soudanaises ont très largement contribué à notre révolution”, a affirmé l’économiste, ancien collaborateur des Nations unies. “Mais durant les négociations (…), comme pendant la signature des documents, il n’y avait que des hommes. Nous devons corriger cela”, a-t-il poursuivi.
Pour Samahir el-Moubarak, une porte-parole de l’Association des professionnels soudanais (SPA) ayant joué un rôle central dans la contestation, la sous-représentation des femmes n’est guère surprenante.
Elle “n’est pas acceptable mais elle est aussi compréhensible d’une certaine manière”, estime-t-elle. “Les organisations et les partis politiques maintenant engagés dans la transition ont toujours existé et ont exclu les femmes”, déclare cette pharmacienne de 29 ans, qui se dit toutefois “très optimiste” quant à une évolution.
Le Parlement de transition qui doit être constitué devra comporter au moins 40% de femmes. Et une femme est pressentie pour présider la Cour suprême, une première.
– “Décalage” –
“Dans les conditions actuelles, nous avons besoin d’une forme de discrimination positive (…) mais les femmes sont assez qualifiées pour devenir tôt ou tard une majorité au Parlement et au gouvernement”, estime Mme Moubarak.
Jugeant les progrès insuffisants, Rabah Sadeq affirme que “les femmes doivent continuer à acquérir du pouvoir”.
“Quand vous comparez la rue et les manifestations aux institutions, il y a un décalage”, relève Sarah Abdoul Lalil, une pédiatre soudanaise installée au Royaume-Uni et membre de la SPA.
Pour elle, un débat est nécessaire pour trouver de nouvelles façons d’intégrer les femmes dans les institutions.
La parité est dans l’intérêt du pays, renchérit la militante Rabah Sadeq.
“Le fait de demander plus de femmes (au pouvoir) n’est pas juste symbolique. Elles sont plus engagées en faveur de la paix. Ce n’est pas qu’une question d’égalité, c’est une question de chances de réussite de cette transition”, déclare-t-elle.
Après 30 années d’oppression sous le règne d’Omar el-Béchir, les femmes ont gagné en confiance ces derniers mois, note Samahir el-Moubarak.
“Les femmes étaient la dynamo de cette révolution, elles ne peuvent pas être oubliées”, dit-elle. “Sinon il y aura une autre révolution”.
AfriqueDiplo