Entouré d’officiers supérieurs connus du M23 parmi lesquels l’influent technicien de guerre Colonel Nzenze, dans les forêts qui surplombent l’historique colline de Tchanzu, le chef de l’Alliance Fleuve Congo (AFC) a changé de look et apparemment décidé d’arborer une tenue de combat. Corneille Nangaa s’affiche désormais en chef de guerre et assume son irrémédiable parcours de guerrier anti-Tshisekedi. Jeudi, il est apparu en plein commandement opérationnel à l’occasion d’une réunion de fusion des forces du M23, de Twiraneho (Banyamulenge) et des forces politiques non affichées. Sommes-nous dans un nouveau tournant d’une guerre généralisée ? Est-ce une manière de passer du politique au militaire?
Ce changement vestimentaire intervient au moment où la rébellion armée connue sous le nom de « M23 » vient se fondre au sein de l’Alliance Fleuve Congo (AFC), la nouvelle plateforme politico-militaire dirigée par Corneille Nangaa, ancien président de la Commission électorale de la République Démocratique du Congo.
Dans sa note d’information rendue publique le jeudi 22 février, Laurence Kanyuka, le chargé de communication du M23, affiché désormais comme le point-focal communication de l’AFC, présente une nouvelle structure chapeautée par Corneille Nangaa au plan politique et par le Général-major Sultani Makenga pour la coordination militaire. Jusqu’ici, Makenga avait toujours été présenté comme le chef d’état-major du M23. C’est lui qui dirige la guerre et qui commande toutes les troupes dans les trois territoires que le M23 contrôle (Rutshuru, Masisi et Nyiragongo).
Quant à Bertrand Bisimwa, l’ancien patron politique du M23, il devient coordonnateur adjoint de l’AFC, chargé des questions politiques et diplomatiques. Bisimwa est un politique expérimenté qui a traversé toutes les guerres de l’Est de la RDC. Recruté dans l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila en 1996, il a vu naitre le RCD-Goma, le CNDP de Laurent Nkunda Mihigo et le M23 dans toutes ses facettes successives. Politicien rompu, Bisimwa a coordonné d’innombrables épisodes de négociations avec le gouvernement de Kinshasa. A ce titre, il est le mieux placé pour conduire la diplomatie de la plateforme politique AFC dans sa configuration rénovée. Originaire de Bukavu (Sud-Kivu), Bisimwa est un acteur taciturne mais très aguerri.
Le communiqué publié jeudi à Tchanzu est révélateur. Une causerie morale tenue dans les profondeurs du territoire conquis par le M23, à l’attention des officiers membres de la coordination militaire de l’Alliance, en présence du coordonnateur adjoint en charge des questions politiques et diplomatiques. Il s’est agi d’une «réunion de commandement, de structuration, d’orientation et de moralisation de son leadership».
Parmi les officiers aperçus sur les photos partagées dans les réseaux sociaux figure le colonel Imani Nzenze, un fin technicien d’état-major précédemment donné pour mort après d’intenses bombardements des positions du M23 par la coalition gouvernementale (Fardc, Sadc, Armée burundaise, Wazalendo et Fdlr) fin janvier.
L’AFC a également levé l’option de rendre publics ses actes fondateurs, notamment l’Acte Constitutif et son organigramme qui confirme Benjamin Mbonimpa au poste de Secrétaire Permanent. Mbonimpa est un autre intellectuel congolais qui a une maitrise réelle des réalités du pays. Investi Secrétaire exécutif par le M23, il passe pour le coordonnateur technique de l’Alliance et traitera désormais sous la direction directe de Nangaa et Bisimwa.
D’autres figures apparaissent dans la structure de l’AFC : c’est le cas d’Adam Chalwe Munkutu, un jeune leader fraichement venu du Katanga et qui s’est fait remarquer, ces dernières semaines, par la pertinence de ses tweets anti-Tshisekedi. Chalwe est chargé de la mobilisation, de l’implantation et du recrutement au sein de l’AFC.
Un organigramme qui sonne comme un signal fort dans le structuration de l’opposition et des forces rebelles avec en perspective l’administration rationnelle des nouveaux territoires. Ce qui donne à penser que l’AFC pourrait mener des opérations d’envergure dans les prochains jours. L’organisation exprime sa volonté de contenir tous les besoins humanitaires créés par le conflit armé. On signale plus de 5 millions de déplacés internes dans le Nord-Kivu. «Au regard des urgences humanitaires de l’heure et de l’exacerbation des discours de haine ethnique, de division et de discrimination, l’AFC a décidé de la mise en place d’une commission ad hoc chargée de préparer un Plan de Pacification, de Réconciliation Nationale et convivialité en vue de la prise en charge du retour de tous les déplacés internes et des réfugiés congolais dans leurs milieux respectifs», indique le communiqué de Laurence Kanyuka. Une précision bienvenue, quand on sait les conséquences désastreuses que peut avoir l’option militaire sur les populations civiles, et le prix déjà payé par elles dans l’Est du Congo.
Avec cette intégration explicite du M23 à l’Alliance Fleuve Congo, Felix Tshisekedi se retrouve face à un nouveau dilemme diplomatique. Les cartes changent et les acteurs aussi. Des sources à Kinshasa indiquent que le président congolais n’était jusque là toujours pas disposé à discuter avec Corneille Nangaa, qui le connait bien. Tshisekedi a été surpris, juste à la fin de son point de presse, de constater que Nangaa, son pire adversaire, chapeaute désormais tous les groupes armés et mouvements politico-militaires du pays parmi lesquels figure le M23. «L’image de Nangaa dérange le président», chuchote un de ses proches qui estime toutefois qu’en politique «tout est possible». Car au vu des matériels déployés à l’Est du Congo, au vu des forces en présence, au vu des risques inhérents à un affrontement militaire, le président sortant et contestablement reconduit peut-il plus longtemps refuser la discussion ?
Reste à savoir si Tshisekedi va privilégier la voie du dialogue national alors qu’il s’est auto-piégé par ses propres discours populistes. Dans son point de presse du jeudi 22 février à Kinshasa, Félix Tshisekedi, a encore dénoncé l’attitude “mensongère” et “manipulatrice” de Paul Kagame, président du Rwanda, accusé d’appuyer le M23 dans l’Est du pays. «Sur le plan sécuritaire, la réunion convoquée par le Président João Lourenço, et qui nous mettait aux prises avec nos agresseurs, entre autres, n’a pas donné lieu à des résultats escomptés, parce que chacun est resté campé sur sa position. Je leur ai réitéré avec force la position qui est la nôtre. Notre agresseur est parti toujours avec ses manipulations et mensonges habituels», a-t-il déclaré.
Tshisekedi a annoncé par ailleurs une autre rencontre avec le président angolais en début de semaine prochaine, sur la situation sécuritaire dans l’Est de la RDC. «Si tout va bien, mardi prochain, je serais reçu à Luanda pour le rencontrer, notre champion en matière de paix désigné officiellement par l’Union Africaine comme médiateur dans cette guerre injuste imposée par notre voisin», a déclaré Tshisekedi.
La vérité que refuse Félix Tshisekedi, en dénonçant systématiquement le Rwanda d’être derrière le M23, c’est que l’affrontement est aujourd’hui politique, interne à la RDC, et qu’il repose sur le refus d’une élection volée, truquée, manipulée, falsifiée, et le rejet de la légitimité factice que Félix Tshisekedi doit pouvoir en tirer. La fusion du M23 dans l’Alliance Fleuve Congo, c’est l’affirmation que la paix est possible, entre Congolais, si la forfaiture qu’a constituée son élection est effacée par Félix Tshisekedi.
Du côté des rebelles, rien n’est dit concernant les négociations. Dans une interview avec La Libre Afrique, le 17 février dernier, Corneille Nangaa n’a pas rejeté l’idée d’un dialogue en dépit de la méfiance réciproque entre son mouvement et le gouvernement de Kinshasa. «Nous avons toujours été favorables à une solution pacifique à la crise. Tous les sociétaires de l’AFC sont ouverts à un dialogue sincère qui permettra d’examiner les causes profondes du conflit. Cependant nous sommes dubitatifs de la bonne foi du régime de Kinshasa au regard d’une part de ses agitations barbares et d’autre part, de sa réputation pour le non-respect des engagements pris», a-t-il répondu.
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