L’ancien rebelle Jean-Pierre Bemba, condamné en première instance à 18 ans de prison puis libéré sous conditions mardi après son acquittement en appel par la Cour pénale internationale (CPI), a laissé en République démocratique du Congo le souvenir d’un chef autoritaire qui reste encore populaire à Kinshasa, onze ans après son départ en exil.
La chambre d’appel de la CPI, qui siège à La Haye, avait prononcé l’acquittement vendredi de Jean-Pierre Bemba, 55 ans, “car les sérieuses erreurs commises par la chambre de première instance font entièrement disparaître sa responsabilité pénale”.
En mars 2016, jugé responsable des atrocités commises par ses hommes en Centrafrique en 2002 et 2003, il avait été condamné à 18 ans de prison, pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre.
Arrêté en 2008, l’ancien chef de guerre a passé la dernière décennie dans le centre de détention de la CPI situé dans le quartier balnéaire de La Haye.
Entre octobre 2002 et mars 2003, appelés à la rescousse par le président centrafricain Ange-Félix Patassé pour contrecarrer la tentative de coup d’Etat lancée par le général (et futur président) François Bozizé, les miliciens “banyamulenge” de Jean Pierre Bemba se sont livrés, sans retenue et pendant plus d’un mois, à de terribles exactions dans la capitale centrafricaine.
Dans la mémoire de nombreux habitants de Bangui, l’intervention des combattants du Mouvement de libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba – qui deviendra en 2003 vice-président de la RDC puis sera battu à l’élection présidentielle de 2006 par Joseph Kabila – a laissé des traces indélébiles.
Des exactions restées “impunies”, selon Bernadette Sayo, fondatrice de l’Organisation pour la compassion et le développement des familles en détresse (Ocodefad, ONG créée en 2004 en soutien aux victimes des “Banyamulenge”).
“Dépenser des dizaines et des dizaines de millions de dollars de fonctionnement de cette CPI pour en arriver à ce résultat, alors que ça ne change rien au sort des victimes…”, rage-t-elle, en ajoutant : “Nous allons nous adresser au gouvernement pour sortir immédiatement de la CPI. La Centrafrique n’est plus dupe!”
“Ils ont attrapé deux de mes soeurs et les ont tuées.” A Bangui, Ghislain Bertrand Bouanga se souvient des razzias des miliciens dits “Banyamulenge” du Congolais Jean-Pierre Bemba acquitté et libéré mardi de la Cour Pénale internationale (CPI).
“Ils ont tué ma mère aussi et ils ont pris tout ce qui était dans la maison. Ils ont ligoté ma soeur cadette, l’ont fouettée et l’ont violée. Depuis, elle est handicapée, ses bras ne marchent plus car ils ont serré les liens trop fort. Elle a passé une année à l’hôpital, en traumatologie. Elle saignait à cause du viol”, se souvient-il, seize ans plus tard.
“La CPI ne vaut rien!”, abonde Ghislain. Lui craint que cette décision ne favorise l’impunité des chefs de guerre du pays, dont l’Etat ne contrôle qu’une mineure partie du territoire et où les groupes armés se battent pour le contrôle des ressources et de l’influence locale.
“Quand les Banyamunlenge sont arrivés chez nous, près de la concession de l’école Begoua, ils ont violé ma fille. J’ai commencé à pleurer, et d’autres sont arrivés et m’ont violée. Quand mon mari s’est interposé, ils l’ont tué”, raconte d’une voix tremblante Marie (le prénom a été changé) en se grattant compulsivement le bras.
Aujourd’hui, elle veut oublier, et ne nourrit aucune colère contre la décision de la CPI: Jean-Pierre Bemba n’est pas responsable, puisqu’il n’était pas là au moment des faits. “C’est la faute du commandant des Banyamulenge à Bangui et non de Bemba. Bemba n’est jamais venu sur le terrain. C’est la personne sur le terrain qui devait surveiller ses éléments”, explique Joséphine (le prénom a été changé), une autre femme violée par les combattants du Mouvement de libération du Congo (MLC).
Nelly, également victime d’un viol, partage cet avis, mais souhaiterait néanmoins être dédommagée : “Si Jean-Pierre Bemba est conscient de ce qui nous est arrivé, il n’a qu’à nous dédommager des viols et des pillages”.
Né le 4 novembre 1962 à Bogada, dans la région forestière de l’Équateur (frontalière de la Centrafrique), Jean-Pierre Bemba est le fils d’un riche homme d’affaires proche de l’ancien dictateur Mobutu Sese Seko.
Il dirige les entreprises familiales puis se lance à son compte dans la téléphonie mobile, le fret aérien, crée deux chaînes de télévision, évoluant sous les ailes protectrices du défunt maréchal du Zaïre.
De cette époque, un de ses anciens proches garde de lui l’image d’un homme “accroché à une calculette”, peu prompt à s’acquitter de l’impôt mais intraitable avec ses débiteurs. “Le social n’était pas son point fort”, ajoute cet ex-cadre du groupe familial, il était “trop impulsif, trop autoritaire comme patron”.
Ces traits de caractère, le député Delly Sesanga, qui fut son directeur de cabinet à la vice-présidence (2003-2006) pendant la transition politique en RDC, le confirme.
Le “Chairman”, comme on le surnomme encore au sein de son parti était “réactif”, dit-il, au point d’agir parfois dans “une sorte de précipitation qui peut conduire à des erreurs”. Mais il était un “chef intelligent doté d’un sens pratique aigu” et “sûr de lui”, doué d'”autorité” pour les “décisions importantes”.
L’aventure militaire de M. Bemba commence en 1998. Surnommé le “Mobutu miniature”, il a quitté brusquement la capitale l’année précédente après la prise du pouvoir par le chef rebelle Laurent-Désiré Kabila (père de l’actuel président congolais Joseph Kabila) et l’emprisonnement de son père, Jeannot Bemba.
Soutenu par l’Ouganda, il crée et dirige le MLC. Ce mouvement rebelle régnera en maître dans la région de l’Équateur et une partie du nord-est du pays. Comme tous les belligérants ayant pris part à la deuxième guerre du Congo (1998-2003), le MLC est accusé par les Nations unies d’avoir commis des atrocités à grande échelle dans les zones qu’il contrôlait.
Réputé audacieux, M. Bemba, colosse d’1,90 m au visage rond, obtient à la fin de la guerre un des quatre postes de vice-président dans le cadre d’une transition politique dirigée par Joseph Kabila, qui a accédé à la tête de l’État à la mort de son père en 2001.
Battu par M. Kabila à la présidentielle de 2006 après un entre-deux-tours émaillé de violences, il est élu sénateur. Il refuse alors d’abandonner la protection de sa garde rapprochée (privilège que lui valaient ses fonctions de vice-président) en disant craindre pour sa sécurité. L’affrontement avec le pouvoir est inévitable. Bemba en sort perdant. Il quitte Kinshasa sous escorte blindée des Casques bleus une nuit d’avril 2007, après d’intenses combats entre l’armée congolaise et sa milice ayant fait au moins 300 morts en plein cœur de Kinshasa selon l’ONU.
L’enfant chéri de Kinshasa, où il avait obtenu 70% des suffrages contre M. Kabila à la présidentielle, est arrêté à Bruxelles en mai 2008, en vertu d’un mandat d’arrêt de la CPI. Depuis, le MLC (devenu un parti politique) a perdu une vingtaine de ses dirigeants, mais reste la deuxième force d’opposition à l’Assemblée nationale.
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