
L’acquittement et la remise en liberté de l’ex-vice-président congolais Jean-Pierre Bemba viennent compliquer les rapports de force d’un processus électoral déjà explosif en République démocratique du Congo où l’ancien chef de guerre compte des millions de soutiens.
Né le 4 novembre 1962 à Bogada, dans la région forestière de l’Équateur (frontalière de la Centrafrique), Jean-Pierre Bemba est le fils d’un riche homme d’affaires proche de l’ancien dictateur Mobutu Sese Seko.
L’aventure militaire de M. Bemba commence en 1998. Surnommé le « Mobutu miniature », il a quitté brusquement la capitale l’année précédente après la prise du pouvoir par le chef rebelle Laurent-Désiré Kabila (père de l’actuel président congolais Joseph Kabila) et l’emprisonnement de son père, Jeannot Bemba.
Soutenu par l’Ouganda, il crée et dirige le MLC. Ce mouvement rebelle régnera en maître dans la région de l’Équateur et une partie du nord-est du pays. Comme tous les belligérants ayant pris part à la deuxième guerre du Congo (1998-2003), le MLC est accusé par les Nations unies d’avoir commis des atrocités à grande échelle dans les zones qu’il contrôlait.
Entre octobre 2002 et mars 2003, appelés à la rescousse par le président centrafricain Ange-Félix Patassé pour contrecarrer la tentative de coup d’Etat lancée par le général (et futur président) François Bozizé, les miliciens « banyamulenge » de Jean Pierre Bemba se sont livrés, sans retenue et pendant plus d’un mois, à de terribles exactions dans la capitale centrafricaine.
Réputé audacieux, M. Bemba, colosse d’1,90 m au visage rond, obtient à la fin de la guerre un des quatre postes de vice-président dans le cadre d’une transition politique dirigée par Joseph Kabila, qui a accédé à la tête de l’État à la mort de son père en 2001.
Battu par M. Kabila à la présidentielle de 2006 après un entre-deux-tours émaillé de violences, il est élu sénateur. Il refuse alors d’abandonner la protection de sa garde rapprochée (privilège que lui valaient ses fonctions de vice-président) en disant craindre pour sa sécurité. L’affrontement avec le pouvoir est inévitable. Bemba en sort perdant. Il quitte Kinshasa après d’intenses combats entre l’armée congolaise et sa milice ayant fait au moins 300 morts en plein cœur de Kinshasa selon l’ONU.
En 2007, l’ancien procureur général de la République Laurent Tshimanga Mukeba avait lancé un mandat contre Jean-Pierre Bemba pour ces violences et l’incendie des installations de la Cour suprême de justice.
Arrêté en 2008, l’ancien chef de guerre a passé la dernière décennie dans le centre de détention de la CPI situé dans le quartier balnéaire de La Haye.
Jean-Pierre Bemba avait été condamné en première instance en 2016 à 18 ans de prison, la peine la plus lourde jamais imposée par la CPI, pour les meurtres, viols et pillages commis en Centrafrique par sa milice entre octobre 2002 et mars 2003.
Remis en liberté provisoire sous conditions spécifiques mardi, M. Bemba devrait rejoindre son épouse et ses cinq enfants installés en Belgique, selon ses avocats.
La décision de la Cour pénale internationale (CPI) intervient à un mois et demi du dépôt des candidatures à l’élection présidentielle prévue le 23 décembre pour remplacer le président Joseph Kabila arrivé au terme de son deuxième et dernier mandat en décembre 2016.
Le président ne donne aucun signe de vouloir décrocher ni de chercher activement un dauphin, malgré une récente déclaration à Montréal de son Premier ministre issu de l’opposition, Bruno Tshibala, jurant qu’il ne sera pas candidat.
Adversaire de Kabila à l’élection présidentielle de 2006, Bemba va de l’avis général rejouer un rôle sur la scène politique congolaise, au moment où l’opposition affirme se chercher un candidat unique.
Populaire dans sa région d’origine, l’Équateur (nord-ouest), dans le Bas-Congo mais aussi à Kinshasa où il avait obtenu 70% des suffrages à la présidentielle de 2006, M. Bemba est courtisé par les ténors de l’opposition depuis son acquittement-surprise vendredi dernier.
Originaire du Katanga (est), l’opposant en exil Moïse Katumbi compte avancer « ensemble avec Jean-Pierre Bemba » en vue de présenter une candidature commune à la présidentielle, a-t-il répété via un message Skype sur écran géant à ses supporteurs réunis samedi dernier à Kinshasa.
Né dans le Kasaï (centre-ouest), le leader-candidat du parti historique d’opposition UDPS Félix Tshisekedi juge aussi qu’un éventuel retour de M. Bemba représente un « renfort considérable ».
La majorité pro-Kabila adopte un ton plutôt apaisé depuis la décision des juges de La Haye en appel. « Cette libération est une fierté nationale. Jean-Pierre Bemba doit être accueilli au pays », a réagi Joseph Kokonyangi, ministre de l’Urbanisme et secrétaire général adjoint de la Majorité présidentielle.
Au MLC, le parti de M. Bemba, le ton est aussi à l’apaisement: « Il y a un temps pour se battre, il y a un temps pour construire ensemble », estime le sénateur Jacques Djoli, l’un des dirigeants influents. « Notre président sera là », avait prévenu bien avant l’acquittement de M. Bemba la secrétaire générale de son parti, Eve Bazaïba. Interrogée sur les intentions politiques de Bemba: « Rendez-vous le 12 et 13 juillet 2018 à l’issue du congrès du MLC », a-t-elle répondu.
Tout le monde le convoite. Il doit faire profil bas et être conciliant avec le président Kabila pour éviter la reprise des poursuites judiciaires. En même temps, il doit ménager ses amis de l’opposition s’il veut réellement gagner. Connaissant son égo, il ne voudra jamais se mettre derrière un autre candidat. Jean-Pierre voudra être investi roi.
Afrique Diplo