De Brazzaville à Luanda, en passant par Kampala et Kigali, les neuf pays frontaliers de la République démocratique du Congo se retrouvent à leurs corps défendant en première ligne d’une crise politique à l’issue incertaine qui agite leur immense voisin.
Les pays frontaliers redoutent des débordements de violences – réfugiés, mouvements rebelles, trafics en tous genre – si le président congolais Joseph Kabila briguait un troisième mandat aux élections prévues le 23 décembre, ce que lui interdit la Constitution. Voire en cas de report du scrutin.
“La RDC est la mère de toutes les crises car ce qui s’y passe affecte toute la région des Grands Lacs”, résumait le ministre angolais des Affaires étrangères Manuel Domingo Augustos dans un entretien au journal français le Monde en janvier.Â
Avec la quête d’investisseurs, la question congolaise figure au menu de la visite cette semaine en Belgique des présidents angolais Joao Lourenço et rwandais Paul Kagame. La Belgique et l’Angola ont réitéré lundi “l’importance d’élections libres, crédibles et transparentes dans les termes de l’accord de la Saint-Sylvestre” – c’est-à -dire sans le président Kabila.
MM. Kagame et Lourenço sont respectivement président en exercice de l’Union africaine (UA) et de la Communauté des États d’Afrique australe (SADC), deux organisations observatrices du processus électoral congolais.
Chaque pays a aussi sa propre histoire bilatérale avec Kinshasa. L’Angola, qui partage 2.500 km de frontière avec la RDC, a soutenu militairement le président Kabila à son arrivée au pouvoir en 2001 après l’assassinat de son père Laurent-Désiré.
Le trafic ferroviaire a repris en mars entre les deux pays après 34 ans d’interdiction. Les présidents congolais et angolais organisent régulièrement des sommets tripartites avec le président du Congo-Brazzaville Denis Sassou Nguesso.
Ces relations peuvent se crisper rapidement (retrait des conseillers militaires angolais fin 2016, mouvement de l’armée à la frontière congolaise en mai 2017 lors de la crise dans le Kasaï). “Le mandat de Joseph Kabila est terminé. Il doit donc partir dans le cadre d’un processus démocratique”, avait déclaré en janvier le ministre angolais des Affaires étrangères, loin des précautions oratoires du président Lourenço en Europe.
Le petit Rwanda et le grand Congo entretiennent des relations tendues depuis le génocide des Tutsi et le massacre des Hutus modérés en 1994 (800.000 morts).
Soucieux d’éliminer les génocidaires réfugiés dans l’ex-Zaïre, le président rwandais Paul Kagame a soutenu le chef rebelle Laurent-Désiré Kabila en 1997 dans sa marche victorieuse contre le vieux maréchal Mobutu, avant un retournement d’alliance.
Depuis, le Rwanda est accusé de piller le coltan du Nord-Kivu. Et Kigali accuse la RDC de soutenir les rebelles hutus installés dans cette même province. En février, les deux armées se sont brièvement battues à la frontière.
“Si nous pouvons comprendre en tant que voisin comment aider la transition au Congo à se passer sans nous affecter (…), c’est ce que nous devrions faire”, a récemment déclaré le président Kagame – lui-même aux affaires depuis 23 ans et réélu en août dernier avec plus de 98% des voix.
Brazzaville suit au sens propre à la jumelle la situation de l’autre côté du fleuve, où le régime du président Sassou Nguesso a expulsé et renvoyé en 2014 des dizaines de milliers de ressortissants de RDC.
“Nous devons en principe nous retrouver à Luanda le 17 juin (Lourenço, Sassou, Kabila, Kagame, le Gabonais Ali Bongo et le Sud-Africain Cyril Ramaphosa). Nous attendons tous la confirmation de Kinshasa de ce rendez-vous décisif”, glisse une source bien informée à Brazzaville.
Les relations sont complexes entre la RDC et l’Ouganda, sur fond de partage des ressources énergétiques des lacs Albert et Edouard. Comme le Rwanda, Kampala a soutenu en 1997 le renversement du maréchal Mobutu par Kabila père avant un retournement l’alliance.
“Que Kabila brigue un troisième mandat ou non, ça ne nous concerne pas. Mais ce qui nous préoccupe, c’est la présence des groupes armés qui déstabilisent la région”, avance un diplomate ougandais.
Les relations sont polluées par la présence des mystérieux ADF, officiellement des rebelles ougandais musulmans opposés au président Yoweri Museveni – mais qui dans les faits égorgent, enlèvent et terrorisent les Congolais de la région de Beni.
Kampala s’est aussi inquiété d’un afflux de réfugiés congolais en février lors de la reprise des violences en Ituri (nord-ouest).
Kinshasa n’a rien à redouter du petit Burundi, où le président Pierre Nkurunziza vient de réformer la Constitution pour rester au pouvoir jusqu’en 2034. “Nous entretenons de très bonnes relations sur le plan du renseignement ou le plan militaire”, a rappelé un haut-responsable burundais, allusion à la poursuite des milices congolaises au Burundi et inversement.
La RDC a des relations cordiales avec la Tanzanie, où la famille Kabila a vécu en exil. “Aucune solution au conflit intercongolais ne devrait être envisagée, dans le dos du pays concerné et sans associer les organisations régionales”, selon un haut responsable tanzanien.
Le président Kabila s’est rendu en février en Zambie pour s’assurer de ses bonnes relations avec Lusaka. Quant à la Centrafrique et le Sud-Soudan, ces deux pays paraissent trop englués dans leurs propres violences pour s’inquiéter du dossier congolais. A peu près les seuls dans la région.
Par Sandrine Morel