“Nous gérons les passions politiques”: le président de la commission électorale, Corneille Nangaa, se résigne à vivre sous le feu croissant des attaques jusqu’aux élections du 23 décembre qui doivent organiser le départ du président Kabila en République démocratique du Congo.
“Nous tiendrons la date du 23 décembre!”, proclame d’entrée l’homme le plus exposé du pays à chaque étape d’un processus électoral qui peut encore dérailler. C’est lui qui doit présenter ce vendredi un fichier électoral nettoyé de “plusieurs millions” de doublons débusqués parmi les 46 millions d’électeurs enregistrés au 31 janvier.
Souriant, détendu, blagueur, le président de la “Céni” reçoit dans un bureau spacieux qui filtre la chaleur, les bruits, la lumière et les “passions” d’un pays battant le long compte à rebours électoral.Â
“Depuis que nous avons publié le calendrier électoral (ndr: le 5 novembre), tout ce que nous avons prévu est en train de se réaliser”, se félicite son maître d’oeuvre en citant la loi électorale (fin décembre) et le recensement des électeurs (fin janvier).
A ce rythme, il proclamera le nom du successeur du président Joseph Kabila entre Noël et jour de l’an, pour une prestation de serment du président élu le 12 janvier.
On en est encore loin. A 47 ans, l’économiste de formation affirme prendre des coups de toutes parts à l’approche de ces triples élections présidentielle, législatives et provinciales: “Chaque fois qu’un acteur (politique) trouve que son intérêt est en jeu, il peut se permettre n’importe quoi”.
L’opposition ne croit pas toujours -ou toujours pas- en son rôle de simple technicien électoral. Corneille Nangaa est le “serviteur”du président Joseph Kabila, avait lancé un soir de colère le tout nouveau président et candidat du parti historique d’opposition UDPS, Félix Tshisekedi.
A cette époque -octobre 2017-, Nangaa n’envisageait pas d’élections avant “504 jours”, soit début 2019, alors que le deuxième et dernier mandat du président Kabila a pris fin le 20 décembre 2016.Délai électoral miraculeusement réduit après une visite à Kinshasa et une mise en garde de l’ambassadrice des Etats-Unis aux Nations unies, Nikky Haley.
Ces derniers jours, les attaques redoublent contre Corneille Nangaa qui défend contre vents et marées les “machines à voter” de fabrication coréenne.
Pas d’élections sans ces machines “à choisir les candidats et imprimer le bulletin de vote” (leur fonction exacte), répètent la Céni et son président, qui invoquent des questions de coûts.
L’opposition parle de “machine à tricher”. “Si Mr. est encore lucide, il doit purement et simplement arrêter ses manoeuvres tendant à organiser un chaos électoral en RDC qui conduira à l’implosion du pays”, a récemment tweeté l’opposant Martin Fayulu.
Après les Etats-Unis -Nikky Haley, de nouveau-, Séoul a aussi désavoué ces machines “made in Korea” qui “pourraient donner au gouvernement congolais un prétexte pour des résultats indésirables”, selon l’ambassade coréeene à Kinshasa.
“La machine à voter ce n’est pas une question qui concerne le gouvernement coréen”, répond tranquillement le président Nangaa, qui partage le pouvoir à la Céni avec son vice-président, Norbert Basengezi, membre du parti présidentiel PPRD.
“Si quelqu’un à l’intention de tricher il peut le faire avec ou sans machine”, sourit Nangaa. Et de rappeler qu’en 2011 la réélection du président Kabila avait déjà été critiquée alors qu’il n’y avait que des bulletins de vote ordinaires.
Le natif du Haut Uélé (nord-est) fréquente les arcanes du système électoral congolais depuis la première élection du président Kabila en 2006, qui s’était soldée par des affrontements entre l’armée et les milices du perdant, Jean-Pierre Bemba, dans les rues de Kinshasa.
Nangaa a fait ses premiers pas dans les couloirs de la Commission électorale sous l’égide d’un de ces prédécesseurs, l’abbé Apollinaire Malu Malu, qui lui a confié en 2006 le poste de “superviseur technique”.
Il a définitivement pris les commandes de la Céni en 2015, quand la tension montait entre le pouvoir et l’oppositin réclamant en vain des élections comme prévu en décembre 2016. Mi-2017, c’est lui qui a préparé le terrain à un nouveau report des élections en invoquant les violences dans le Kasaï.
Nangaa sera-t-il l’artisan d’une première transition pacifique du pouvoir? “Mon mandat se termine au mois de juin (2019). J’espère que l’on aura déjà organisé les élections à ce moment-là ”, sourit-il en fin d’entretien, contredisant son optimisme initial sur la date du 23 décembre.
“Après, je vais faire autre chose”, dit-il, citant spontanément “l’agriculture”: “Je suis un fermier. J’aimerais vraiment rentrer faire mes champs”.
Et la politique? “Je suis plutôt un technicien. La politique, ce sont des caïmans. Il faut savoir nager. Et je ne suis pas sûr de savoir aussi bien nager que les autres”. Vraiment?
Par Yvette Ikombo