Comment gagner les élections en Afrique des caporaux au pouvoir ? En pointant le canon aux électeurs, en assassinat les journalistes et les défenseurs des droits humains, en confisquant la dépouille mortelle d´un citoyen assassiné dans la Gestapo du pouvoir en place, en muselant une presse très bruyante et pauvre, en laissant rêver les opposants et contrecarrer leur action, en invitant et laisser faire les observateurs internationaux qui, malgré leurs rapports négatifs, n’empêcheront pas la haute cour du pays de prendre acte des « résultats » des élections (Prosper Nobirabo Musafiri : 2007).
Dans la démocratie comme dans la dictature, la victoire se prépare : seule la méthode utilisée différencie la victoire de l’une de celle de l’autre. En RD CONGO, par exemple, l’instauration d’un climat de peur dans la conscience des électeurs, arrestations arbitraires, viols, enlèvements, interpellations et intimidations pendant la campagne électorale, pour fermer la boucle, assassinats ciblés des journalistes et défenseurs des droits humains sont parmi tant d‘autres méthodes utilisées efficacement par le régime de Kinshasa pour se maintenir au pouvoir. Aujourd´hui, la seule chose qui puisse être démocratique au Congo Kinshasa, c´ est la mort. Car elle choisit ses victimes sans limitations d´âge, d´appartenance sociale ou politique ni de location géographique, ceci dit, tôt ou tard, elle finira par passer un jour par Menkao ou Kingakati, quelque part vers la route de Bandundu, en RD CONGO.
1. Démagogie
C’est donc un pays exsangue, divisé et gangrené que Laurent Désiré Kabila laisse à sa mort, le 16 janvier 2001. A cette date beaucoup de Congolais redoutaient la transition. Les dirigeants de l´époque confièrent le pouvoir à un jeune officier avec mission de finir la guerre d´agression et de conduire le pays aux élections. Aussi, au lieu de favoriser la transition constitutionnelle les congolais acclament la prise du pouvoir par ce jeune militaire. Ce jeune qui prend le pouvoir en 2001 est emmené par un groupe de jouisseurs de la République et par la maffia internationale (accord de paix de Sun City de 2002).
L’application de l’accord de paix, négocié sous la pression de la communauté internationale en 2002 en Afrique du Sud, a été semée d’embûches. La première échéance pour l’organisation d’élections démocratiques ne pouvant être tenue (juin 2005), la transition a dû être prolongée d’un an. Malgré cette prolongation, ni la pacification du territoire national ni la restauration de l’État ne sont achevées. Conséquence des conséquences : Une guerre interethnique en Ituri, une agitation chronique dans l’Est congolais et les bruits de bottes des armées rwandaise et ougandaise ont vite montré que signer la paix ne signifiait pas arrêter la guerre. Les foyers d’incendie allumés dans l’Est congolais depuis 1996 ont du mal à s’éteindre. De l’Ituri au nord du Katanga, des mini-guerres résiduelles perdurent dans des poches de conflictualité, et constituent autant l’expression d’antagonismes locaux – notamment fonciers – que l’hystérésis des rébellions successives. Dotées d’un réseau complexe et fluctuant de relations de part et d’autre des frontières, des bandes armées – en langage onusien des « forces négatives » – font régner, dans tout l’Est congolais, leur loi en zone rurale. Certaines rébellions étrangères, sans lien apparent avec la RDC, tentent l’aventure d’une implantation en territoire congolais, comme l’Armée de résistance du Seigneur (Lord’s Resistance Army, LRA) à l’automne 2005 dans le Haut-Uélé.
Ces « forces négatives » entretiennent des relations complexes et fluctuantes avec les autres forces en présence (Charles Nasibu Bilali : 2005). Rwandais et Ougandais, qui ont pris l’habitude de piocher librement dans les richesses (cassitérite, or, diamants, uranium, bois précieux, trafic d’armes, etc.) d’un pays « ouvert », ont sous-traité, après leur départ, leurs intérêts à des acteurs tels que les Banyamulenge activement soutenus par le Rwanda, où ils se replient en sécurité, tandis que les milices d’Ituri sont toujours approvisionnées via la frontière ougandaise, malgré les accusations portées par le Conseil de sécurité des Nations unies à l’égard de Kampala. Ces « forces négatives » entretiennent aussi des relations occultes, ambiguës et réversibles avec Kinshasa et les différentes factions du gouvernement congolais. Si elles sont aujourd’hui pourchassées par l’armée congolaise, les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) ont constitué pour ce dernier un auxiliaire précieux contre le Rwanda et l’Ouganda lors des guerres de 1996-1997 et de 1998 à 2003. Comme leurs équivalents dans les autres provinces, les Mai-Mai du Nord-Katanga ont été dûment sollicités – et peut-être même « suscités » – par les autorités congolaises contre l’armée rwandaise et ses velléités de s’emparer des richesses minières de la province dès 1998.
Les autorités congolaises ont cependant joué un jeu dangereux avec ces milices locales, qui se sont vite révélées contestataires. Même si elles mènent des guerres de basse intensité loin de la capitale, ces « forces négatives » sont des vecteurs de déstabilisation qui, par deux fois au moins, ont mis à mal le régime de Kinshasa. L’hypothèque sécessionniste que représentait la « républiquette d’Ituri » a dû être levée en 2003 par la communauté internationale. Oubliée lors de la grande messe noire à Sun City, l’élite hema nourrissait un fantasme sécessionniste adossé aux intérêts ougandais ; l’Ituri aurait pu constituer un dangereux précédent pour l’unité territoriale. Trop déstabilisante, cette perspective a nécessité une intervention dans l’intervention internationale : l’opération « Artémis » qui a évité l’« iturisation » du « Grand Est », la contagion sécessionniste. La prise de Bukavu en mai 2004 par les banyamulenge a été un autre événement déstabilisateur, dont l’impact s’est ressenti jusqu’à Kinshasa. La rébellion du général tutsi Laurent Nkundabatware a alors illustré la difficulté d’unifier les forces combattantes dans une armée nationale – et notamment les militaires tutsis du RCD-Goma (Rassemblement congolais pour la démocratie) qui considéraient ce général comme leur véritable chef. Cette mutinerie a abouti à la prise temporaire de Bukavu par les troupes « banyamulenge ». Le sentiment anti-onusien a dès lors pris une ampleur considérable : des manifestations violentes ont éclaté contre la Mission de l’Organisation des nations Unies en République démocratique du Congo (MONUC) dans les grandes villes du pays. La mutinerie de Laurent Nkundabatware et Jules Mutebutsi a donc fait vaciller brièvement non seulement le gouvernement de Kinshasa mais aussi le garant de la « paix » : la Mission des nations Unies au Congo (MONUC).
2. Désillusion
Mais au fil des ans, la réalité se fait jour. La fusion des ex-belligérants en une armée nationale, loyale et disciplinée, implique que tous les signataires de l’accord de paix acceptent de se priver de leur force de viol massif, d’abandonner leurs armes et leurs troupes. Rares sont ceux qui ont joué le jeu de l’« armée intégrée » (Wolters & Boshoff : 2006). Le processus d’intégration militaire s’est heurté à deux problèmes majeurs :
• la comptabilité militaire a été un motif de dissension dès le début de la réforme. Lors de l’accord de Sun City, les belligérants avaient déclaré environ 220.000 soldats, chiffre qui avait « évolué » jusqu’à 340.000 avant d’être révisé à 240.000 par le Conseil supérieur de la Défense en 2004. Deux recensements étrangers (réalisés par l’Afrique du Sud et l’Union européenne [UE]) ont conclu que le gouvernement gonflait ses effectifs d’au moins 50 % afin d’engranger une sérieuse plus-value sur le financement de troupes, réévaluées à 100.000 hommes. En novembre 2005, par exemple, les ambassadeurs du Comité international d’accompagnement de la transition (CIAT) ont dû taper du poing sur la table pour savoir ce qu’il advenait des 8 millions de dollars déboursés chaque mois pour des salaires qui n’atteignaient pas leurs destinataires.
• la répartition du pouvoir militaire a donné lieu à un véritable exercice diplomatique. La création de l’état-major intégré a été la plus facile (il a suffi de dupliquer au niveau militaire la composition du gouvernement de transition). En revanche, le déploiement d’états-majors régionaux intégrés a demandé des compromis longs, souvent houleux, et qui parfois sont mal « passés » sur le terrain. Loin de jouer le jeu de l’armée intégrée, les parties au pouvoir se sont efforcés de maintenir des chaînes de commandement parallèles.
Le plus préoccupant reste sans nul doute le bilan comportemental des FARDC. Promptes à la désertion, mises à l’épreuve dans un premier temps en Ituri, ces forces sont souvent envoyées au combat sans logistique, et elles ont remplacé les milices dans l’exploitation illégale des mines aurifères au Congo-Kinshasa. La corruption des militaires, de l’homme du rang à l’officier, est un phénomène d’une ampleur peu commune, dont la militarisation de l’activité minière est le meilleur symbole. Ainsi, au Katanga, les autorités ont-elles décidé en octobre 2005 de démilitariser la cité minière de Tenke Fungurume pour prévenir un affrontement généralisé entre policiers et militaires (ces derniers aidaient les creuseurs clandestins sur un périmètre de la société Tenke Fungurume Mining et allaient être expulsés par la police des mines, dont certains agents furent « arrêtés » par les militaires).
En RDC, les « hommes en uniforme » apportent l’insécurité, et se comportent comme une armée d’occupation dans leur propre pays. L’armée congolaise, reformée mais impayée, retourne à ses vieux démons (rackets, pillages, violences), forçant les donateurs impliqués dans sa reconstitution à faire le siège de la présidence pour que les soldats soient tout simplement nourris et payés.
La réforme du secteur de la sécurité en RDC ne se heurte pas simplement à des intérêts acquis et à des tentatives de subversion. Elle s’oppose à une « informalisation » généralisée et entropique qui a fini par devenir la seconde nature de l’économie et de la politique congolaises. Le célèbre « article 15 » en RD CONGO, c´est-à-dire « débrouillez-vous », a pris la force d’un habitus, et pour qui s’intéresse à l’envers des choses, l´empire State à la congolaise ressemble plus à un « replâtrage » qu’à une refondation.
Le double retard de la restauration de l’autorité de l’État et de la pacification se heurte à la démagogie électorale de la haute hiérarchie congolaise. Les conditions d´une nouvelle aventure électorale en 2011-2012 ont donc toutes chances d’être périlleuses. La Monusco va-t-elle recourir à l´ancien expédient qui a consisté à solliciter l’appui militaire de l’Union européenne pour sécuriser ces élections à haut risque ? Wait and see !
3. Ces farceurs qui nous gouvernent
Qu’est-ce qu´élire en Afrique ? Sinon un moyen pratique de légitimation d’un pouvoir spolié et confisqué au peuple ? Comme le disait le déchu Lissouba : « en Afrique, on n’organise pas les élections pour les perdre » ou le feu Bongo : « Bongo c’est gagné d’avance ». En Afrique, l’expérience nous a montré qu’il était plus facile à celui qui est au pouvoir de se faire élire qu’à celui qui veut y accéder. Tiers-monde oblige ! Les « raïs » africains utilisent presque la même méthode pour se faire élire : c´est ainsi, par exemple, le PPRD de la haute hiérarchie à la congolaise a verrouillé – avant le lancement officiel de la campagne électorale – les médias publics en violant les dispositions légales qui garantissent indistinctement aux candidats l’accès libre et égal aux médias de l’État. Tout est mis en œuvre pour consacrer le pouvoir du plus fort, par le plus fort et pour le plus fort qui ne ménage aucun effort pour asseoir son autorité.
En effet, le pouvoir sensé revenir au peuple lui est arraché par ceux qui détiennent les « moyens » de contrainte : la force publique (armée, police, garde républicaine), les finances de l’État et les églises toute tendance confondue (achat des consciences). Ces derniers (ceux qui détiennent les « moyens » de contrainte) confisquent la « souveraineté » populaire en désignant eux-mêmes les animateurs des divers échelons du pouvoir. Il va de soi que ces derniers exerceront ce pouvoir sans entrave aux intérêts de leurs bienfaiteurs. Le peuple dans tout cela n’y trouvera aucun compte. Dans un pays où le pouvoir a été pris par les armes (coup d’État, révolution-agression, etc.), la haute hiérarchie se maintient au pouvoir en truquant la forme des élections et leurs résultats. Le peuple n’a en sa main aucun moyen de contrôle ou de contrainte. Sa souveraineté primaire n’est plus qu’escroquerie parce qu´il n’a pas délégué les animateurs et ceux-ci ne lui rendent pas compte.
Le peuple trompé devient ainsi impuissant devant celui qui est au pouvoir et qui n’a aucune envie d’être contrôlé par celui-ci (peuple) ; car le dictateur n’acceptera pas les critiques fussent-elles constructives. Il va élaborer des théories sur la démocratie en vue de légitimer son pouvoir. Le feu Président Mobutu – comme tant d’autres – a créé un parti-État qui était national et obligatoire pour tout citoyen. Il a déclaré en 1990 : « Il y a des gens qui en veulent à mon fauteuil ». Il trouvait si évident que le pouvoir lui revenait de droit presque divin. Il était sien et aucune personne, même choisie par le peuple, ne pouvait convoiter son « fauteuil ».
La dictature actuelle au Congo Kinshasa sous le règne de chef des kadogos cherche à se faire passer pour une démocratie. Elle sait que pour durer au pouvoir sans être inquiété et pour exploiter la population dans l’impunité qu’un vernis démocratique ferait toujours l’affaire (rendez vous en 2012 encore pour les présidentielles). C’est pourquoi, elle ne cherche pas à obtenir l’adhésion de tous les citoyens. Il s’agit en fait de ce que j´appelle la « con-cratie ». Dans la « con-cratie » ou la démocratie des cons, tout ou presque, est équilibré : atteintes aux libertés, répressions dosées, voire gratification en biens matériels pour inhiber des soulèvements et des rejets en bloc. En Afrique actuellement et au Congo Kinshasa en particulier la « con-cratie » est plus à la mode que la démocratie. Cette « con-cratie » est appelée par d’autres la « « démon-cratie », c´est-à-dire le pouvoir des démons par les démons et pour les démons. Bref, la démocratie, loin d’être seulement le pouvoir des plus forts par les plus forts et pour les plus forts, devient alors le pouvoir des gouvernants par les gouvernants et pour les gouvernants ou, comme le dirait le citoyen moyen, le gouvernement des démons par les démons et pour les démons. La souveraineté étatique, le pouvoir suprême devient l’émanation de ceux qui se sont imposés au pouvoir. Ceux-ci, pour mieux exercer ce pouvoir choisissent les gens qui doivent les aider à gouverner, à qui ils délèguent une portion de leur pouvoir. La démocratie devient alors le gouvernement où les plus « forts » exercent la souveraineté
4. Ivresse du pouvoir ou le mobutisme sans Mobutu
Les élections de 2006 censées être l’acteur principal de la restauration étatique ont déçus ; car le gouvernement issu de ces joutes électorales de 2006 n’a pas rompu avec la gouvernance opaque de l’ère mobutiste. La culture politique mobutiste reste très prégnante : organismes occultes, coups tordus et affairisme débridé ont été omniprésents durant cette mandature. Si tous les partis s’efforcent de maintenir des chaînes de commandement parallèles aux FARDC, le président Kabila a poussé cette logique un peu plus loin en créant sa « Maison militaire ». Sous ce vocable s’abrite l’état-major personnel du président, mis sur pied pour contourner les organismes de sécurité traditionnels (renseignement, police et armée, Gestapo appelée Garde républicaine) dont la direction est partagée entre les partis de l’espace présidentiel.
Cette Maison militaire permet au président de diriger sa garde présidentielle et de contrôler, voire de bloquer, l’action des autres structures de sécurité du pays. Elle est donc une manifestation de défiance à l’égard des forces traditionnelles – défiance logique de la part d’un homme dont le père a été abattu par un de ses gardes du corps à la suite d’un complot de palais, défiance cohérente avec toute l’histoire congolaise. Cette logique de personnalisation des forces armées s’oppose directement à la reconstruction d’une armée intégrée. Acteur divisé qui poursuit des objectifs assez peu congruents avec le manuel de la bonne gouvernance, l’« espace présidentiel » est un véritable gouvernement des ombres où pullulent milices personnelles, émissaires secrets, des pasteurs farceurs (Abbé de la CEI ; pasteur futur « prix Nobel » de la paix de Montreux en Suisse, etc) et clans familiaux dans une ambiance de conspiration permanente, de course au pouvoir et d’affairisme.
Durant ces cinq années post-électorales, les moments de tension et les actes malveillants n’ont donc pas manqué dans la vie politique congolaise. Le jeu politique congolais est resté ce jeu d’ombres qu’il était sous Mobutu et Laurent- Désiré Kabila : la corruption et l’affairisme y font bon ménage avec la violence comme l’ont montré d´« étranges rébellions » au Congo Kinshasa et la Signature de nombreux contrats miniers léonins notamment avec la Chine comme symbole du banditisme étatique.