Nichée au fond d’un entrelacs de ruelles de Mocimboa da Praia, dans l’extrême nord du Mozambique, la mosquée de Nanduadua n’est plus qu’un tas de gravats. Quelques femmes voilées pressent le pas pour la passer, sans même y jeter un regard.
“C’était la mosquée des criminels”, lâche devant ce qu’il reste du bâtiment un des voisins du quartier, Ussene Amisse, “la mosquée de ceux qui ont un cœur de pierre”.
Le gouvernement de Maputo a ordonné sa destruction en octobre, dans la foulée d’une attaque meurtrière attribuée à un groupe de jeunes musulmans radicaux qui y avait fait son nid.
Cette première opération islamiste a claqué comme un coup de tonnerre dans un pays en crise financière et toujours agité par les convulsions de sa longue guerre civile. Jusque-là, le Mozambique n’apparaissait sur aucune carte de la menace jihadiste.
Dans la partie nord du pays, à majorité musulmane, l’attaque a fait souffler un vent d’inquiétude qui ne retombe pas, nourri par de nouveaux incidents armés et une vague de mystérieux enlèvements.
La foudre jihadiste est tombée sur Mocimboa et ses quelque 40.000 habitants dans la nuit du 4 au 5 octobre.
“Vers 3h00 du matin, on a entendu des cris et des coups de feu. On a trouvé ça normal parce que c’était jour de fête”, se souvient un habitant, Juma Tuaibo. “Mais on a vite compris que les jeunes de la mosquée étaient à l’origine de ces incidents. Alors on est parti se réfugier dans les villages alentours”.
Connus sous le nom de “al-shabab” – “les jeunes” en arabe – des dizaines d’hommes armés ont pris d’assaut le commissariat, la caserne et un poste des gardes forestiers. En quelques heures, ils se rendent maîtres de toute la ville.
– ‘Bandits’ –
“Nous avons été pris par surprise”, reconnaît sous couvert de l’anonymat un responsable local. “Il nous a fallu deux jours de combats et l’appui de renforts venus de tout le district pour chasser les bandits de la ville”.
Le bilan des événements est lourd. Deux policiers, un chef de quartier et quatorze “assaillants” tués.
Les autorités répugnent d’abord à parler de “terrorisme”. Elles évoquent un “groupe” dont l’objectif serait de “renverser l’ordre établi”. Mais, assurent-elles, il n’a rien à voir avec les “al-shabab” qui sèment la terreur en Somalie à grands coups d’attentats.
Passé le choc, le gouvernement a rapidement réagi.
En quelques semaines, plus de 300 musulmans sont arrêtés et plusieurs mosquées fermées. Le président Filipe Nyusi limoge aussi les patrons de l’armée et des services de renseignement, coupables de ne pas avoir tiré la sonnette d’alarme.
A Mocimboa pourtant, l’éclosion d’une frange radicale dans la communauté musulmane était connue de tous.
“Ça a commencé il y a trois ans. Une cinquantaine de jeunes qui disaient que nous n’étions pas de vrais musulmans”, raconte Ussene Amisse, professeur dans une école coranique. “Certains d’entre eux ont appris ces choses en Somalie. C’est en rentrant qu’ils ont commencé à créer des problèmes”.
A leurs ouailles, ils ordonnent alors de ne plus envoyer les enfants à l’école, de ne plus voter, de désobéir aux autorités.
“Ils ont suivi l’exemple des fondamentalistes d’autres pays”, regrette un des chefs religieux de la ville, Amadi Mboni.
– ‘Echec’ –
“Nous le savions, nous avions informé nos autorités du danger”, poursuit-il, “mais nous n’avons pas pu empêcher beaucoup de nos enfants et petits-enfants de les rejoindre”.
Le Mozambique compte officiellement 17% de musulmans, pas loin du double affirment les responsables de leur communauté. Le parti au pouvoir depuis l’indépendance, le Frelimo, se targue de leur parfaite coexistence avec les autres religions.
Mais le nord du Mozambique a été largement oublié de l’essor économique des années 2000. Et sa population redoute de ne recevoir que les gouttes de la pluie de pétrodollars attendue des gisements de gaz de Palma, au nord de Mocimboa.
Dans ce contexte, le discours radical des “al-shabab” a rencontré des oreilles très attentives. “C’est une zone de grande influence musulmane, où le pouvoir de l’Etat est faible”, résume le patron de presse et commentateur d’opposition Fernando Lima.
A l’exception d’une paire de véhicules blindés ostensiblement stationnés devant le QG de la police, Mocimboa a retrouvé aujourd’hui son activité habituelle.
“La situation est calme et sous contrôle”, martèle le porte-parole régional de la police, Augusto Guta.
“La vie est revenue à la normale, nous avons repris le travail”, se félicite le maire de la ville, Fernando Neves, “ces gens ont utilisé l’islam pour nous diviser (…) mais ils n’y parviendront pas”.
Les barrages des forces de l’ordre ont disparu et les habitants de Mocimboa ont participé par centaines le 7 mars à sa fête annuelle. Mais les mises en garde de la police aux voyageurs racontent une toute autre histoire.
– Enlèvements –
Les autorités refusent de livrer le moindre détail sur le nombre ou l’activité des “al-shabab”. Mais, selon de nombreux témoignages, ils se sont repliés dans les épaisses forêts de la région, d’où ils continuent à semer le trouble.
La semaine dernière encore, ils ont attaqué le village de Chitolo. Un habitant a été tué et des cases incendiées, selon la radio d’Etat.
“Depuis les attaques, je ne vais plus dans les autres villages, seule l’armée y va”, confie Amisse Oumar, le chef de Quelimane, à une quinzaine de km au nord de Mocimboa.
“Les gens n’ont plus accès à leurs champs, la population n’a plus de nourriture”, déplore le septuagénaire. “En octobre, une femme du village a été enlevée dans son champ avec son neveu. Ils ont aussi capturé un homme et lui ont coupé la tête”.
Les rues de Mocimboa bruissent de nombreux récits similaires d’enlèvements attribués aux “al-shabab”.
Leur nombre est encore loin de celui des rapts pratiqués à échelle industrielle par le groupe islamiste Boko Haram au Nigeria, mais leur mode opératoire y ressemble furieusement.
“C’est arrivé le 1er janvier”, raconte Momadi Mfaoume. “J’étais dans les champs avec ma femme quand j’ai vu des hommes armés dans la forêt. On a couru mais ma femme a été capturée”. “D’autres femmes qui ont réussi à s’échapper m’ont raconté qu’elle avait été remariée de force”, poursuit-il, inconsolable.
Les autorités affirment n’être “pas informées” de “disparitions”.
“La région est sûre”, répète le responsable local. “Mais ces +bandits+ ne sont pas juste des jeunes qui ont vu des cassettes de propagande islamiste”, ajoute-t-il toutefois, “nous ignorons qui les dirige, qui les arme, leurs liens avec l’étranger, alors nous devons rester extrêmement vigilants”.
Par Amina Niasse