À l’origine, l’acronyme BRIC (pour «Brésil, Russie, Inde, Chine») est apparu en 2001 sous la plume de Jim O’Neill, un ancien PDG de la banque Goldman Sachs, qui entendait ainsi désigner quatre États dont la croissance s’annonçait particulièrement rapide. En 2009, un an après la crise financière des subprimes, plutôt que de rejoindre le G7, ces quatre États ont décidé de se réunir en une sorte de club, prenant ce nom de BRIC.
L’année suivante, en 2010, au nom d’une argumentation qui sera reprise en 2023, la Chine a convaincu ses partenaires des Brics d’accueillir l’Afrique du Sud dans le groupe, qui a du coup pris le nom de Brics, le S final représentant l’Afrique du Sud («South Africa»). Ce pays n’avait certes pas le même poids économique que les autres membres mais, selon Pékin, la présence d’un pays africain renforçait la représentativité du groupe.
Au cours du sommet qui vient de se tenir à Johannesbourg du 22 au 24 août, les Brics ont décidé de faire entrer six nouveaux membres: l’Iran, l’Argentine, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Cet ensemble sera en place dès le 1er janvier prochain avec un nom qui n’est pas encore fixé.
”Élargir, mais comment?”
À Johannesbourg, les cinq membres actuels ont commencé par s’entendre sur le principe d’une ouverture de l’association, puis ils ont défini les processus d’admission. Depuis quelques mois, la Chine affirmait clairement son intérêt pour cet élargissement.
Dans un discours à l’ouverture du sommet, le 23 août, le président Xi Jinping déclarait: «Les Brics doivent Å“uvrer en faveur du multilatéralisme et ne pas créer de petits blocs. Nous devons intégrer davantage de pays dans la famille des Brics.»
Manifestement, la Chine est soucieuse de consolider son amitié avec des pays au développement économique qui incarnent une certaine puissance dans leur région. Le but de Pékin semble avant tout d’accroitre l’influence de la Chine. Tandis que ce mouvement d’élargissement des Brics fournit à la Russie une possibilité de nouer de nouveaux contacts et donc de relativiser l’isolement dans lequel sa guerre en Ukraine l’a plongée.
Sur un plan plus directement économique, le rapprochement avec deux pays pétroliers, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis a un intérêt évident pour la Chine et les autres pays des Brics. Par ailleurs, dans une époque où la puissance américaine ne cesse de contrer les performances de l’économie chinoise, il n’est pas inutile, aux yeux de Pékin, d’organiser, à travers les Brics, un rapprochement avec l’Iran, pays qui est en conflit avec les États-Unis depuis longtemps.
L’initiative chinoise, au printemps dernier, pour mettre fin aux différends qui envenimaient depuis de longues années la relation entre l’Iran et l’Arabie Saoudite prend tout son sens: pour des raisons à la fois géopolitiques et économiques, Pékin avait besoin de réconcilier ces deux pays pour qu’ils puissent entrer dans les Brics.
Si, à l’évidence, la Chine désirait cet élargissement, elle n’a visiblement pas eu trop de mal à convaincre ses partenaires. L’Inde, qui est actuellement l’autre locomotive économique du groupe au côté d’une Chine dont elle a tendance à se méfier, a accepté l’arrivée de six pays supplémentaires.
Peu avant qu’elle ne soit officialisée, le Premier ministre indien, tout en demandant que les modalités d’adhésions soient précisément définies, a déclaré: «L’Inde se réjouit d’avancer vers un consensus à propos de cet élargissement.» De son côté, le président du Brésil, Luiz Inacio Lula da Silva, est satisfait que l’Argentine, puissance agricole et autre pays d’Amérique latine, entre dans les Brics.
Quant à Cyril Ramaphosa, le président sud-africain, il voit s’accomplir, avec l’entrée de l’Égypte et de l’Éthiopie, son souhait que d’autres pays africains fassent partie des Brics. Et, plus globalement, il estime que les Brics élargis vont représenter «un groupe diversifié de nations dotées de systèmes politiques différents et partageant le même désir d’un ordre mondial plus équilibré».
Cependant, à Johannesbourg, la question de se détacher du dollar et d’utiliser les monnaies des pays membres pour commercer à l’intérieur des Brics n’a été évoquée que comme une intention. Les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales ont été chargés de préparer un rapport sur le sujet en vue du prochain sommet.
”Presque un humain sur deux”
Avec cinq membres, les Brics totalisaient 42% de la population mondiale; à onze, ils vont en représenter 46%. Leurs économies pèseront 36% du PIB mondial, tandis qu’à l’intérieur de ce groupe de pays, le PIB de la Chine pèse pour environ 70%.
Depuis 2010, la première utilité des Brics est de permettre aux pays membres de se parler. Au cours de sommets annuels et de réunions régulières entre ministres, des rapprochements entre les positions économiques, parfois politiques, ainsi que des coopérations financières sont mis au point. Surtout, l’objectif fondamental de réformer le fonctionnement des institutions financières mondiales, resté le même depuis leur origine, est toujours mis en avant par les Brics, de même que l’idée de contrebalancer le poids économique de l’Occident.
Cette coopération entre pays des Brics s’est essentiellement concrétisée en 2014 par la création d’une banque multilatérale de développement, dont le siège est à Shanghai. Elle est actuellement présidée par Dilma Rousseff, l’ancienne présidente brésilienne. Cette banque, dotée d’un capital de 89 milliards d’euros, finance des travaux d’infrastructures dans les pays des Brics ainsi que dans des pays en développement.
En 2016, elle a émis, sur le marché chinois, des «obligations vertes» pour un montant équivalent à plus de 400 millions d’euros sur une période de cinq ans. Il s’agit de valeurs mobilières dont le revenu est investi dans des projets écologiques dans les différents pays des Brics. La Banque de Chine est l’assureur et l’enregistreur principal de ces émissions.
Au-delà de projets concrets de coopération sur le plan financier, les sommets des Brics sont l’occasion de faire le point sur le fonctionnement de l’association. À Johannesbourg, Xi Jinping a tenu à indiquer dans son discours ce que doit être, selon lui, le bon fonctionnement de la gouvernance mondiale: «Les règles internationales doivent être élaborées et préservées par tous sur la base des buts et principes de la Charte des Nations unies, mais non être dictées par ceux qui ont les plus gros muscles ou la voix la plus forte.»
Cependant, Xi Jinping tient aussi à mettre en avant des préoccupations actuelles et concrètes de la Chine en parlant de l’intelligence artificielle (IA), «un nouveau domaine qui peut», dit-il, «non seulement apporter d’énormes dividendes de développement, mais qui contient également des risques et des défis».
Le président chinois insiste: «Nous devons élargir la coopération sur l’IA, renforcer les échanges d’informations et la coopération technique», et aussi «élaborer des normes de gouvernance avec un large consensus afin de rendre les technologies de l’IA plus sûres, plus fiables, plus contrôlables et plus équitables». Les Brics ont décidé de lancer un groupe d’étude le sujet.
Vladimir Poutine n’était pas présent lors de ce sommet des Brics. La Cour pénale internationale ayant lancé contre lui un mandat d’arrêt pour crimes de guerre présumés en Ukraine, il a préféré laisser le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov le représenter à Johannesbourg. Mais, de Moscou, il s’est adressé aux participants en visioconférence, en disant notamment: «Nous sommes opposés à toute forme d’hégémonie et d’exclusivité prônées par certains pays.»
Vladimir Poutine accuse ainsi les États-Unis et l’Europe et, passant naturellement sous silence l’attitude russe en Ukraine, il ajoute: «Nous sommes tous unanimement en faveur de la formation d’un ordre mondial multipolaire qui soit véritablement juste et fondé sur le droit international.» Visiblement, la Russie n’est pas actuellement en mesure de se préoccuper en détail du fonctionnement concret des Brics.
”Intégrer les nouveaux”
Mais bien d’autres questions vont désormais se poser pour l’organisation. À commencer par la façon d’intégrer les six nouveaux arrivants. Plusieurs d’entre eux ont des liens importants et anciens avec les États-Unis. Pour sa part, Washington a soigneusement évité de montrer la moindre irritation après le sommet de Johannesbourg.
À la Maison-Blanche, un porte-parole du département d’État affirme que les Brics ne sont pas de futurs «rivaux géopolitiques» des États-Unis et que «les pays sont libres de choisir leurs partenaires et les groupements auxquels ils s’associent». Côté américain, on assure vouloir maintenir de «solides relations» bilatérales avec le Brésil, l’Inde ou l’Afrique du Sud. L’avenir des relations économiques internationales dira de quel côté, Amérique ou Chine, se développeront les courants d’échanges.
Par ailleurs, ce sommet des Brics va probablement laisser des traces de mécontentement chez les dirigeants des quelques vingt pays qui avaient formellement postulé pour que leur pays entre dans l’organisation et qui n’ont pas été retenus. Cuba, le Kazakhstan, le Bangladesh ou encore le Venezuela avaient notamment fait acte de candidature.
L’Algérie est allée plus loin. Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a multiplié les rencontres avec les membres des Brics, et a même laissé entrevoir des contrats d’armement avec la Russie. Sans succès. Le Nigéria a mis en avant ses résultats économiques, qui sont nettement supérieurs à ceux de l’Éthiopie ou de l’Égypte.
Indonésie, qui connaît un fort développement, pouvait en dire autant. Mais actuellement, nombre de pays occidentaux préfèrent sous-traiter leurs productions en Indonésie plutôt qu’en Chine, car les coûts de production y sont moins élevés. C’est peut-être pourquoi la Chine ne tenait pas à voir l’Indonésie entrer dans les Brics. En même temps, l’élargissement des Brics ne pouvait sans doute pas s’étendre à trop de pays.
Néanmoins, les partenariats et les préférences commerciales qui vont se développer à partir de l’an prochain entre un plus grand nombre de pays membres des Brics vont favoriser de nombreux échanges. La Chine, qui connaît actuellement un ralentissement de sa croissance économique, entend bien tirer quelques avantages de cette ouverture à six nouveaux pays.
Mais c’est aussi sur le plan de la force collective que le changement de dimension des Brics va pouvoir se mesurer dans les prochaines années. Il ne sera peut-être pas évident de mettre en place une direction commune et une même vision de la marche du monde, entre des économies aux dimensions variées et aux régimes politiques très différents, sans parler de la nécessité pour chacun de se situer par rapport à la guerre qu’un membre des Brics, la Russie, mène contre l’Ukraine.
Mais dans cette situation compliquée, les Brics ont montré à Johannesbourg qu’ils sont capables de se mettre d’accord sur une décision d’élargissement de leur groupe. Et en quittant le sommet, le président Xi Jinping, a salué un «élargissement historique» et parlé d’un «avenir radieux pour les Brics».
Par Richard Arzt — Édité parÂ
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