
La mort de Jeffrey Epstein, par suicide apparemment, au sein du Metropolitan Correctional Center (MCC) le samedi 10 août a incité le FBI et l'inspecteur général du ministère de la Justice américain à ouvrir des enquêtes. On s'est demandé pourquoi Epstein ne bénéficiait manifestement plus du dispositif de veille pour les suicidants quelques semaines à peine après avoir été retrouvé à demi-conscient avec des marques sur le cou. S'il vaut la peine de découvrir pourquoi et comment cette décision a été prise, la vérité c'est que nous savons pertinemment pourquoi Jeffrey Epstein est mort.
Nous savons que le MCC, la prison fédérale de Manhattan qui a récemment abrité JoaquÃn «El Chapo» Guzmán, a été jugée «pire que Guantanamo» par quelqu'un qui a séjourné dans les deux établissements. Nous savons que les cellules sont infestées d'insectes et de rats tellement gros qu'ils sont «plutôt comme des codétenus» et que les températures oscillent entre fournaise insupportable et froid glacial. Nous savons que les prisonnier·es ne reçoivent pas les soins médicaux dont ils et elles ont besoin, qu'un gardien a été reconnu coupable de viol sur une détenue et que des responsables ont tenté de couvrir une correction mortelle infligée à un prisonnier.
Nous savons que l'isolement, auquel Epstein était astreint, provoque de graves atteintes à la santé mentale. Des rapports successifs ne cessent de mettre en garde contre le fait d'isoler des personnes atteintes de troubles mentaux connus, et l'on dispose de preuves montrant que l'isolement peut déclencher des psychoses aiguës chez des gens sans aucun antécédent psychiatrique. Nous savons que le taux de suicide dans les complexes pénitentiaires est bien supérieur à celui de la population générale.
Nous savons que les prisons n'ont pas les équipements nécessaires pour gérer les problèmes de santé mentale alors même que c'est principalement là que nous mettons les personnes atteintes de troubles mentaux. Au MCC et à la prison fédérale de Brooklyn, ils sont plus de 2.000 prisonnier·es à  se partager un unique psychiatre à plein temps et une poignée de psychologues.
L'isolement au MCC, tel qu'il est décrit par ceux et celles qui y ont survécu, est particulièrement épouvantable. Dans l'unité spéciale où se trouvait Epstein, les néons restent allumés 23 ou 24 heures sur 24, les prisonnier·es n'ont pas le droit de se parler de cellule à cellule et les fenêtres sont polies pour ne pas qu'ils aient le moindre aperçu du monde extérieur.
«Les unités isolées sont horrifiantes et inhumaines», a confié David Patton, directeur exécutif de l'ONG Federal Defenders of New York, qui fournit des avocat·es gratuitement aux accusé·es qui n'ont pas les moyens de s'en payer, au New York Times en 2017. «Si vous vouliez concevoir délibérément un lieu pour rendre les gens fous, vous pourriez difficilement faire mieux.»
Les lieux de détention comme le MCC, gérés par le Federal Bureau of Prisons (FBO), figurent généralement parmi les institutions les plus corrompues et violentes du pays. Comme d'autres l'ont souligné, Epstein n'est pas le premier prisonnier fédéral célèbre à mourir ces douze derniers mois. Le gangster de Boston, James J. Bulger, a été battu à mort dans une prison fédérale en octobre dernier.
Et pourtant la presse, le public et les hauts fonctionnaires ont largement fait fi de toutes ces atrocités. Les juges ne prennent pas ces conditions en compte quand ils envoient les accusé·es dans des établissements fédéraux avant leur procès. Les contribuables financent sans le savoir les dommages et intérêts quand quelqu'un va se plaindre devant les tribunaux en cas d'infraction flagrante. Personne ne se donne la peine de s'occuper des problèmes systémiques qui font sans cesse revenir ces questions sur le tapis.
Il y aura donc des enquêtes suite à la mort d'Epstein, et probablement une longue bataille judiciaire pour publier vidéos et documents permettant de déterminer exactement ce qui s'est produit. Mais quoi que nous apprenions, nous savons que le système pénitentiaire a lâché Epstein et ses victimes, tout comme il a lâché un nombre incalculable de gens avant lui.
Les preuves de ces manquements sont claires pour peu qu'on choisisse d'y mettre le nez. Mais nous avons tellement l'habitude d'entendre parler de morts, de violence et de corruption dans les prisons que ce n'est qu'un point de détail au milieu des spéculations enfiévrées autour de la mort d'Epstein.
Nous n'avons pas besoin d'une enquête pour savoir que les prisons sont souvent des zones de non-droit et des trous à rats où la violence prévaut.
La question c'est: est-ce qu'on en a quelque chose à faire?
Peut-être que la plupart des Américain·es estiment que quelqu'un comme Epstein, accusé de crimes sexuels odieux, mérite de mourir.
Peut-être que la plupart des Américain·es pensent que les autres personnes emprisonnées au MCC—suspectées d'actes de terrorisme, de crimes en col blanc, de faire partie de gangs—méritent ce qui leur tombe dessus.
Peut-être que la plupart des Américain·es pensent que ce qui se passe au MCC et dans d'autres prisons fédérales ne reflète pas le type de société que nous voulons être.
Avant d'émettre ce genre de jugement personnel, nous devons accepter de regarder ce qui se passe à l'intérieur de nos prisons et ne pas détourner les yeux tant que nous n'aurons pas reconnu pour ce qu'elle est la barbarie que nous préférons tous traiter par l'indifférence.
AfriqueDiplo