Trois mois avant d’héberger la Coupe du monde de football, la Russie est plongée dans une nouvelle guerre diplomatique avec l’Occident qui jette une ombre sur la compétition sportive la plus regardée au monde après les Jeux olympiques d’été.
La Russie s’est vu attribuer le Mondial en 2010, c’est-à -dire avant ses interventions en Syrie et en Ukraine qui avaient déjà refroidi ses relations avec l’Ouest à des proportions inédites depuis la fin de la Guerre froide, pointe Mathieu Boulègue, spécialiste du pays au cercle de réflexion Chatham House basé à Londres.Â
“C’est un autre monde depuis”, souligne l’expert qui prédit que l’impact de la Coupe du monde sera “très limité” sur une amélioration de ces liens détériorés.
Voici cinq dossiers qui attisent les tensions.
– L’ex-espion empoisonné –
Londres et Washington ont estimé “très probable” la responsabilité de Moscou dans l’empoisonnement dans le sud de l’Angleterre de l’ex-agent double russe Sergueï Skripal.
Aussitôt l’annonce de l’empoisonnement, les soupçons ont convergé vers la Russie. Surtout que le Royaume-Uni se rappelle du précédent de l’assassinat au polonium de l’opposant et ancien des services secrets russes Alexandre Litvinenko, en 2006 à Londres, attribué à Moscou par un juge britannique.
“Commont pouvons-nous dorénavant participer à la Coupe du monde de Poutine?”, se demande en Une le quotidien britannique Daily Mail, tandis que les appels au boycottage du Mondial se multiplient.
Selon Simon Chadwick, de l’Université anglaise de Salford, la Russie cherche avant tout à se servir de la vitrine de la Coupe pour redorer l’image de Vladimir Poutine à l’international mais aussi à l’intérieur.
“Il s’agit de montrer une image forte et puissante de la Russie”, estime-t-il, tout comme les JO d’hiver de Sotchi en 2014 avaient été utilisés pour montrer le retour de la Russie en tant que puissance internationale.
– La Syrie –
Le soutien indéfectible qu’apporte Moscou au régime syrien de Bachar al-Assad et sa volonté de privilégier le processus de paix d’Astana plutôt que celui de l’ONU, exacerbent les crispations avec l’Ouest.
“Il y a une perception claire auprès des pays occidentaux qu’il n’y aura pas de solution de paix en Syrie sans que la Russie ne joue un rôle central”, souligne Mathieu Boulègue.
Jonathan Eyal, du Centre de réflexion londonien RUSI, ajoute que la Russie cherche aussi, à travers son appui à Assad, à montrer à d’autres pays de sa sphère d’influence qu’ils peuvent compter sur elle.
“Restez fidèle à la mère Russie et la mère Russie vous le rendra bien”, résume-t-il.
– Les cyberattaques –
Depuis les accusations d’ingérence dans la présidentielle américaine en 2016, plusieurs gouvernements occidentaux, dont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, ont dénoncé les tentatives russes de perturber leurs scrutins nationaux avec des campagnes de désinformation en ligne et son cortège de “fake news” (fausses informations).
Moscou a systématiquement rejeté ces accusations mais les analystes assurent que de telles cyberattaques font partie d’un travail de sape pour affaiblir l’Ouest. “La Russie cultive une approche systématique cherchant à déstabiliser les pays occidentaux de l’intérieur”, affirme Mathieu Boulègue.
– L’Ukraine –
La Russie a annexé en mars 2014 la péninsule ukrainienne de Crimée après l’arrivée au pouvoir à Kiev d’autorités pro-occidentales et le renversement de l’ancien président prorusse Viktor Ianoukovitch.
Depuis, un violent conflit entre séparatistes prorusses et forces de Kiev dans l’est de l’Ukraine, a fait plus de 10.000 morts et suscité de vives critiques en Occident, surtout au Royaume-Uni.
– Le dopage –
La Coupe du monde aura lieu dans un pays qui est devenu “un paria” du sport international, constate M. Boulègue. Accusant Moscou de dopage institutionnalisé, la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) a maintenu la suspension de la Russie des compétitions internationales, prononcée en novembre 2015.
La Russie a également été privée des récents jeux Olympiques d’hiver en Corée du Sud.
“Dans un monde différent, la Russie aurait utilisé la Coupe du monde à des fins de diplomatie et pour promouvoir une image positive afin d’attirer des investissements étrangers. Mais aujourd’hui, cela lui est impossible”, estime M. Boulègue.
Par Yves Bernard