Les groupes islamistes armés et les forces armées maliennes ont tué et commis d’autres abus contre de nombreux civils dans le Centre et le Nord du Mali, depuis avril 2023.
La violence s’est intensifiée dans tout le Mali à la suite du coup d’État de mai 2021. Les meurtres ciblés de civils par les groupes islamistes armés et l’armée malienne constituent des crimes de guerre.
Les autorités maliennes devraient, avec le soutien de la communauté internationale, mener d’urgence des enquêtes crédibles et impartiales sur les abus présumés et demander des comptes aux responsables.
(Nairobi, 1er novembre 2023) – Les forces armées maliennes et des groupes islamistes armés ont tué et commis d’autres abus contre de nombreux civils dans le centre et le nord du Mali depuis avril 2023, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les autorités militaires de transition du Mali devraient, avec le soutien de la Commission nationale des droits de l’homme et des experts internationaux des droits humains, mener de toute urgence des enquêtes crédibles et impartiales sur les abus présumés et demander des comptes aux responsables.
Depuis le début du mois d’avril, des combattants islamistes du Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans (GSIM), lié à Al-Qaïda, ont tué plus de 160 civils, dont au moins 24 enfants. Les forces armées maliennes ont tué jusqu’à 40 civils, dont au moins 16 enfants, au cours d’opérations de contre-insurrection. Le gouvernement malien n’a pas pris de mesures adéquates pour protéger les civils dans les zones touchées par le conflit.
« Les meurtres ciblés de civils par les groupes islamistes armés et l’armée malienne constituent des crimes de guerre qui doivent faire l’objet d’enquêtes approfondies et impartiales », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. « Les autorités maliennes devraient demander à des experts régionaux et internationaux indépendants des droits humains de soutenir les autorités judiciaires maliennes afin que les responsables de ces crimes graves rendent des comptes ».
En août et septembre, Human Rights Watch a mené des entretiens téléphoniques avec 40 personnes ayant eu connaissance d’attaques menées par l’armée malienne et par des groupes islamistes armés. Parmi ces personnes figurent 33 témoins d’abus, ainsi que des membres de groupes de la société civile malienne et d’organisations internationales. Le 9 octobre, Human Rights Watch a envoyé aux ministres maliens de la Justice et de la Défense des lettres qui présentaient en détail ses conclusions et posent des questions sur les allégations d’abus. Ces lettres sont restées sans réponse.
Le GSIM et l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) ont commis de nombreux abus graves dans plusieurs régions du Mali, notamment des meurtres, des viols et des pillages à grande échelle de villages. Ces abus surviennent alors que la Mission multidimensionnelle intégrée pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), la mission de maintien de la paix des Nations Unies dans ce pays, s’apprête à quitter le pays d’ici le 31 décembre.
Le 7 septembre, des combattants islamistes affiliés au GSIM ont attaqué un bateau de passagers sur le fleuve Niger près du village d’Abakoira, dans la région de Tombouctou. Les assaillants ont tiré au moins trois roquettes sur le bateau, tuant 49 personnes. De nombreuses victimes se sont noyées ou sont mortes brûlées vives alors que le bateau prenait feu. « J’ai sauté dans l’eau », a déclaré un survivant. « Beaucoup d’autres ont sauté aussi. Certains criaient à l’intérieur du bateau à cause du feu. C’était la terreur totale. Beaucoup de personnes sont mortes parce qu’elles ne savaient pas nager ».
L’attaque de ce bateau est liée au blocus de la ville de Tombouctou par le GSIM qui dure depuis la mi-août et limite la liberté de mouvement sur les routes principales et les voies navigables du fleuve Niger. Le GSIM a attaqué des villes et des villages au Mali et au Burkina Faso, et cherché à étendre son contrôle en privant la population civile de nourriture, de produits de première nécessité et d’aide humanitaire.
Human Rights Watch a également documenté les abus commis par les forces armées maliennes au cours de trois opérations de contre-insurrection qui visaient des groupes islamistes armés essentiellement liés à Al-Qaïda dans les villages de Gadougou, Trabakaoro et Sambani, dans les régions de Nara et de Tombouctou. Lors de l’opération menée à Sambani le 6 août, les autorités ont arrêté 16 hommes et un garçon dont les corps ont ensuite été retrouvés à l’extérieur du village. Des témoins ont signalé l’implication d’hommes « blancs » étrangers et armés, apparemment membres du groupe Wagner soutenu par la Russie, qui offre un soutien au gouvernement actuel depuis décembre 2021.
Les deux camps ont pris pour cible des villageois qu’ils accusaient d’avoir collaboré avec l’autre camp. « L’armée… tue des gens sans en craindre les conséquences », a déclaré un homme de la région de Mopti. « Les djihadistes tuent, kidnappent et brûlent eux aussi, sans craindre de devoir rendre des comptes. Et nous, les civils, sommes pris entre le marteau et l’enclume dans notre propre pays ».
En juillet, Human Rights Watch a fait état d’exactions commises par des membres de l’armée malienne et par des combattants étrangers qui leur sont associés, et appartenant apparemment au groupe Wagner, notamment des exécutions sommaires et des disparitions forcées de plusieurs dizaines de civils au cours d’opérations de contre-insurrection au centre du Mali.
L’intensification de la violence au Mali depuis 2022 intervient dans un contexte d’instabilité politique à la suite du coup d’État de mai 2021. Le projet Armed Conflict Location & Event Data, un projet de collecte de données, d’analyse et de cartographie des crises, a constaté que la violence contre les civils au Mali entre janvier et août avait augmenté de 38% par rapport à 2022 et que le GSIM, les forces armées maliennes et le groupe Wagner, ainsi que l’EIGS étaient les principaux assaillants.
Depuis la fin du mois d’août, la sécurité dans le nord du Mali s’est par ailleurs fortement dégradée après la reprise des hostilités entre les rebelles touareg de la Coordination des mouvements de l’Azawad, une alliance de groupes ethniques touaregs armés, et l’armée malienne. Les rebelles touaregs, qui cherchent à obtenir l’indépendance du nord du Mali depuis le milieu des années 2000, ont signé un accord de paix avec le gouvernement malien en 2015.
Toutes les parties au conflit armé au Mali sont soumises au droit international humanitaire, notamment l’article 3 commun aux conventions de Genève de 1949 et le droit coutumier de la guerre. Les personnes qui commettent des violations graves des lois de la guerre, notamment des exécutions sommaires et des actes de torture, doivent être poursuivies pour crimes de guerre. Le Mali est un État partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, qui a ouvert une enquête sur les crimes de guerre présumés commis au Mali depuis 2012.
« Les gouvernements préoccupés par la spirale de la violence et les abus au Mali devraient à la fois faire pression sur les autorités maliennes et les aider à mener des enquêtes approfondies et impartiales sur les graves abus commis par toutes les parties », a déclaré Ilaria Allegrozzi. « Les autorités judiciaires maliennes devraient collaborer avec la Commission nationale des droits de l’homme, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et l’Expert indépendant des Nations Unies sur les droits de l’homme au Mali pour enquêter sur ces abus ».
AFP