Kenyan President William Ruto speaks during a pre-departure briefing for the first contingent of police officers to deploy to Haiti, at Embakasi, Nairobi, Kenya, in this handout photo released June 24, 2024 "William Samoei Ruto" via X/Handout via REUTERS THIS IMAGE HAS BEEN SUPPLIED BY A THIRD PARTY. NO RESALES. NO ARCHIVES. MANDATORY CREDIT
Selon des câbles diplomatiques envoyés par l’ambassade du Kenya en Russie à son ministère des affaires étrangères, au moins 82 citoyens kényans ont été identifiés et envoyés sur le front après une formation militaire express.
Le rapatriement annoncé hier, 17 décembre, par le Kenya de 18 ressortissants, recrutés puis piégés dans la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine, remet en lumière un phénomène inquiétant : l’enrôlement sous contrainte, de migrants et d’étudiants africains en Russie.
Derrière les récits de “contrats” signés sans comprendre, se dessine une mécanique de vulnérabilités exploitées, précarité, visas, isolement, et une diplomatie africaine sommée de protéger ses citoyens à des milliers de kilomètres.
Dans sa communication officielle, le gouvernement kényan explique avoir identifié puis ramené au pays 18 citoyens “en détresse” depuis la Fédération de Russie, après des appels au secours et un suivi consulaire mené via l’ambassade à Moscou.
Les personnes concernées auraient été “recrutées” dans le cadre des opérations militaires russes et se seraient retrouvées bloquées, parfois blessées ou déployées, loin de la trajectoire initiale qui leur avait été vendue. Les autorités évoquent aussi un accompagnement psychologique à l’arrivée, signe de la violence des expériences traversées.
Au moins 82 Kényans auraient été enrôlés de force aux côtés de l’armée russe dans la guerre en Ukraine. C’est ce qu’a révélé, dans son édition du 15 décembre, le quotidien kényan The Nation, qui a pu consulter des câbles diplomatiques envoyés par l’ambassade du Kenya en Russie à son ministère des affaires étrangères. Dix-huit hommes auraient regagné leur pays grâce à l’aide de leur ambassade, a dévoilé la presse kényane le 17 décembre.

Un rapport de l’ambassadeur kényan à Moscou, Peter Mathuki, liste les identités, les contacts, les dates d’entrée sur le territoire russe et les lieux d’affectation des 82 citoyens identifiés. La plupart, dépourvus de toute formation militaire, n’avaient jamais tenu une arme de leur vie avant d’être enrôlé. Après une formation express de cinq jours dans des camps d’entraînement, ils ont été envoyés sur la ligne de front.
Selon les documents consultés par The Nation, vingt Kényans seraient passés par le camp Novaya Tavolzhanka de Belgorod, à quelque 700 kilomètres de Moscou, depuis le mois d’août. Vingt-neuf auraient fréquenté le camp d’Istra, à l’est de la capitale. Trois d’entre eux auraient été secourus par leur ambassade à la mi-septembre. Parmi les vingt-six ressortissants kényans passés dans un camp de Saint-Pétersbourg depuis le 4 décembre, quatre auraient été rapatriés au Kenya, quatre autres seraient hospitalisés à Moscou pour des blessures, notamment des amputations et des fractures à la main. Deux autres auraient transité par Rostov-sur-le-Don.
Le cas kényan n’est pas isolé. Depuis 2022, plusieurs enquêtes médiatiques et organisations ont documenté un élargissement des canaux de recrutement de la Russie, touchant des étrangers vivant sur son sol : migrants, travailleurs précaires, étudiants, parfois menacés de sanctions administratives (expulsion, perte de papiers) ou attirés par des promesses financières et des régularisations rapides.
Un reportage international a notamment décrit comment des Africains pouvaient être envoyés en première ligne tandis que les unités russes restaient davantage en retrait, alimentant le sentiment d’être utilisés comme “chair à canon”.
Le point commun de nombreux témoignages n’est pas toujours l’enlèvement au sens strict, mais une zone grise où la contrainte se niche dans la dépendance. Quand on vit à l’étranger, sans réseau, avec un visa fragile et peu de ressources, une offre de travail peut devenir un piège. Certains expliquent avoir signé des documents en russe, sans traduction fiable, ou s’être vu confisquer passeport et téléphone, rendant toute marche arrière quasi impossible. D’autres racontent l’escalade : d’un “job” logistique à une base, puis l’intégration à des unités combattantes, sous pression hiérarchique.
Au-delà des drames individuels, l’enjeu est politique : ces affaires interrogent la responsabilité de l’État russe, l’activité de réseaux d’intermédiaires, et la capacité des États africains à prévenir les filières (information des candidats au départ, contrôle des agences de placement, coopération consulaire).
Le Kenya affirme, lui, disposer d’éléments suggérant que plus de 200 Kényans auraient été recrutés depuis le début du conflit. Un chiffre qui, s’il se confirme, placerait la question au rang des urgences de protection des diasporas.
Par Guylain Gustave Moke