
L’opposant kényan Raila Odinga, qui a boycotté la présidentielle de jeudi, a prévenu que les Kényans « ne se laisseraient pas gouverner par les armes », lors d’un discours dans un bidonville de Nairobi, théâtre de heurts violents entre ses partisans et la police.
Le chef de la coalition d’opposition Nasa s’est adressé à la mi-journée à plusieurs centaines de ses partisans – certains ayant grimpé sur les toits d’immeubles environnants – depuis le toit de sa voiture, après avoir assisté à une messe. Des affrontements entre membres de différentes communautés ont eu lieu ces derniers jours dans ce quartier, où au moins une personne a été tuée par balles par la police et de nombreuses autres blessées.
« Nous disons à Uhuru (Kenyatta, le président sortant, NDLR) qu’il ne peut pas gouverner par les armes. Les Kényans ne se laisseront pas gouverner par les armes », a-t-il martelé, acclamé à plusieurs reprises par la foule. « Vous avez vu ce qu’il s’est passé à Kisumu, Siaya et d’autres endroits (…) Vous ne pouvez pas tuer des gens parce qu’ils ne sont pas allés voter », a lancé l’opposant historique, 72 ans.
Il faisait référence aux affrontements violents cette semaine entre partisans de l’opposition et la police dans ces villes de l’ouest du pays, fief de l’opposition. Le vote pour la présidentielle n’a toujours pas pu se tenir dans ces endroits à cause de troubles sécuritaires.
Au moins neuf personnes ont été tuées par balle depuis jeudi dans ces bastions de l’opposition (bidonvilles de Nairobi et ouest du pays), selon un dernier bilan. Au moins 49 personnes sont mortes depuis l’annulation de la présidentielle du 8 août, tuées pour la plupart dans la répression des manifestations par la police (recours aux tirs à balles réelles, gaz lacrymogènes, canons à eau).
« Je dis à Uhuru et (William) Ruto (vice-président, NDLR) d’aller devant un miroir et de se regarder dans les yeux », a poursuivi l’opposant, accusant ses rivaux de vouloir « gouverner par la force » et d’être derrière l’attaque contre le garde du corps et chauffeur de la numéro 2 de la Cour suprême, Philomena Mwilu, grièvement blessé par balles mardi dans la capitale.
Par ailleurs, la commission électorale kényane va-t-elle se prononcer sur la possibilité d’organiser la présidentielle de jeudi, boycottée par l’opposition, dans l’ouest du pays, où le vote n’a pu avoir lieu ? Pourra-t-elle, sans ces résultats, proclamer la victoire attendue du sortant Uhuru Kenyatta ? Le Kenya attend des réponses lundi.
Dimanche soir, Nairobi bruissait de rumeurs sur une déclaration imminente des résultats du scrutin, organisé après l’invalidation en justice de la réélection de M. Kenyatta, le 8 août. Mais la Commission électorale (IEBC) a finalement fait savoir qu’elle s’exprimerait de nouveau lundi dans la matinée.
Son président, Wafula Chebukati, a précisé que la Commission avait compilé et vérifié 251 des 266 circonscriptions où le vote a pu avoir lieu jeudi. L’écrasante majorité des bureaux de vote de quatre comtés de l’ouest (Homa Bay, Kisumu, Migori et Siaya) -sur les 47 que compte le pays- n’avaient pas ouvert leurs portes jeudi, en raison d’une situation chaotique et de graves troubles sécuritaires dans ces bastions de l’opposition.
Ainsi, le vote n’a pu avoir lieu dans 25 circonscriptions (sur 291 au total – 290 à laquelle s’ajoute la circonscription de la diaspora), représentant quelque 9% du corps électoral. La Commission avait déjà tenté d’organiser à nouveau le scrutin samedi dans ces circonscriptions, avant d’y renoncer in extremis, estimant que la sécurité de son personnel n’y était pas garantie.
Le pays de 48 millions d’habitants attend depuis de savoir si la Commission va tenter une nouvelle fois de conduire la présidentielle dans l’ouest, ou si elle y renonce, ouvrant alors la voie à une proclamation rapide des résultats. Selon la loi électorale, les résultats doivent être annoncés dans les 7 jours suivant l’élection, soit d’ici jeudi à minuit.
Cette crise politique, la pire depuis dix ans dans ce pays d’Afrique de l’Est, a déjà durement affecté l’économie la plus dynamique de la région et épuisé les Kényans, qui aspirent à reprendre une vie normale.
Le scrutin de jeudi avait été organisé après un coup de théâtre, inédit en Afrique: l’annulation le 1er septembre par la justice de la présidentielle du 8 août, à l’issue de laquelle M. Kenyatta, 56 ans, avait été proclamé vainqueur face au chef de l’opposition Raila Odinga.
M. Odinga, 72 ans et trois fois candidat malheureux à la présidence (1997, 2007, 2013), avait fait pression pour obtenir une réforme de cette Commission, mais l’opposition a jugé insuffisants les changements récemment mis en oeuvre et appelé au boycott de la nouvelle élection tenue jeudi.
M. Odinga, qui a lancé cette semaine une campagne de « désobéissance civile », afin de contraindre le pouvoir en place à accepter l’organisation d’une nouvelle élection dans les 90 jours, a prévu de s’exprimer lundi pour annoncer la « marche à suivre » à ses partisans.
Mais le vice-président William Ruto a une nouvelle fois rejeté toute idée d’organiser un nouveau scrutin. « Il n’y aura pas d’élection dans 90 jours, il n’y aura pas de discussion sur des questions relatives aux élections », a-t-il martelé dimanche.
Le Kenya est plongé dans sa pire crise électorale depuis dix ans. Le scrutin de jeudi a été organisé après un coup de théâtre, inédit en Afrique: l’annulation le 1er septembre par la justice de l’élection du 8 août, à l’issue de laquelle M. Kenyatta avait été proclamé vainqueur face à M. Odinga.
La Cour suprême avait justifié cette décision par des irrégularités dans la transmission des résultats, faisant peser la responsabilité de ce scrutin « ni transparent, ni vérifiable » sur la Commission électorale.
Par Stanley Kenny