L’euphorie suscitée par le renversement de l’octogénaire Alpha Condé qui venait de s’octroyer un troisième mandat après avoir révisé la Constitution est désormais un lointain souvenir. Tant la déception de la population est grande. Dans ces conditions, les Guinéens ne fondent plus aucun espoir dans le CNRD. Même la dissolution de l’équipe gouvernementale annoncée, hier, ne leur apporte aucune assurance.
Ce lundi, le Président Mamady Doumbouya a signé un décret prononçant la dissolution du gouvernement. Mais, aux yeux de ses compatriotes, cette action n’est qu’un coup d’épée dans l’eau. Et pour cause ! Ils ont eu le temps d’observer le CNRD dans ses actions, depuis le 5 septembre 2021 où Mamady Doumbouya a pris le pouvoir. Les Guinéens dans leur grande majorité ont vécu la journée du 5 septembre 2021 et les suivantes comme une délivrance. Le colonel Mamady Doumbouya et ses hommes qui venaient de renverser Alpha Condé étaient célébrés comme des héros tant au sein de la population que dans la classe politique. «Je suis soulagé parce que l’armée nous a débarrassés d’une dictature», avait déclaré le leader de l’opposition à Alpha Condé, Cellou Dalein Diallo, qui n’avait toutefois pas manqué d’exprimer une petite inquiétude.
Après quelques actes posés rapidement pour marquer les esprits, notamment la libération des détenus politiques, le régime du CNRD ne tarda pas à s’enliser si bien que l’euphorie des Guinéens ne sera que de courte durée. Très vite, les populations ont déchanté. Le 5 juillet 2022, des membres du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), une importante coalition d’organisations de la société civile et de partis d’opposition guinéens sont arrêtés avant d’être relaxés par la justice, quelques jours plus tard. Un mois plus tard, le 8 août 2022, l’organisation est dissoute. Par la suite, la presse est censurée, l’accès à Internet, restreint. Les problèmes socio-économiques du pays n’ont cessé de s’accumuler.
Dans ces conditions, les Guinéens qui se sont prononcés sur la dernière décision du Président Mamady Doumbouya au sujet de la dissolution du gouvernement n’ont pas fait la langue de bois. Certains propos rapportés par le site Guineenews.org donnent une idée du ressenti des Guinéens. «On attendait d’eux un résultat et pas que le gouvernement dissout, mais même du Président. Et nous voyons combien de fois plusieurs d’entre nous regrettent déjà la joie manifestée le 5 septembre. Je pense que le problème n’est pas un problème de personne c’est un problème de système», commence Aminata Doumbouya, une habitante de Conakry.
Avant d’enchaîner : «Qu’ils fassent des remaniements ministériels ou pas, s’il n’y a aucun mécanisme mis en place pour améliorer les choses, on aura du mal à s’en sortir. Jusque-là , nous vivons l’un des pires moments de nos vies pour ne pas dire le pire, nous avons besoin de voir les choses au clair ; encore mieux, nous avons surtout envie de savoir à quand le retour à l’ordre constitutionnel. J’ai l’impression qu’on fuit ce débat, pourtant ça reste la question centrale de la transition. J’espère juste qu’ils enverront des gens à la hauteur de nos attentes et ils choisiront surtout de sortir par la grande porte».
Même son de cloche chez Mamadou Djouldé Diallo : «Cette dissolution est une distraction. Rien ne va dans ce pays. Même le Président lui-même, il doit quitter, le problème c’est le CNRD même. Qu’il passe à l’essentiel, c’est-à -dire organiser les élections. On souffre beaucoup. On n’a ni courant ni Internet, toutes nos affaires tombent à l’eau. Tout le monde est frustré actuellement. Ceci est une distraction. Qu’il passe à l’essentiel. Cette dissolution du gouvernement n’a rien à voir avec tous les maux dont nous souffrons dans ce pays».
Un autre citoyen voit même dans cette action de Mamady Doumbouya un signal sur une probable envie de s’éterniser au pouvoir du tombeur de Alpha Condé. «Sinon pourquoi Doumbouya va-t-il dissoudre un gouvernement alors que normalement il ne reste que 10 mois pour lui au pouvoir ? Le CNRD n’est pas prêt à partir. Cette dissolution est un faux sujet», tranche le citoyen.
Seul le temps permettra de percer l’intention secrète d’un colonel qui s’est, en une fraction de seconde, affublé du titre pompeux de général de corps d’armée. Sautant allègrement les grades intermédiaires de général de brigade et de général de division. Une auto-promotion qui pourrait, en effet, cacher une véritable soif du pouvoir et une folie des grandeurs dont Mamady Doumbouya est parfois accusé. Et qui le différencie de ses autres collègues putschistes de la sous-région qui ont, depuis leur accession au pouvoir, conservé leur grade.
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