L’ancien chef d’état-major de l’armée de terre a été investi à la tête de la transition, jeudi 27 novembre, pour une durée d’un an. Pour beaucoup, son putsch serait une manœuvre du clan du président renversé.
Si le verdict des urnes avait été respecté, les Bissau-Guinéens auraient théoriquement dû, jeudi 27 novembre, connaître le nom de leur président. A la place, ils ont découvert le visage fermé du général Horta N’Tam. Au lendemain de l’annonce de la prise du pouvoir par des militaires, alors que le pays était en pleine attente des résultats des élections présidentielle et législatives, organisées dimanche, le chef de l’armée de terre a été investi président de la transition et du « haut commandement militaire pour la restauration de la sécurité nationale et de l’ordre public », pour une durée d’un an.
Dans la foulée, la junte a annoncé la réouverture des frontières, fermées la veille, mais aussi l’interdiction de « toute manifestation, marche, grève ou action perturbant la paix et la stabilité dans le pays ». Le général N’Tam a prêté serment au siège de l’état-major des armées, sous protection d’un important dispositif de sécurité. 
« La Guinée-Bissau traverse une période très difficile de son histoire. Les mesures qui s’imposent sont urgentes et importantes et requièrent la participation de tout le monde », a déclaré le nouvel homme fort de ce pays de 2,2 millions d’habitants.
Umaro Sissoco Embalo, le président de Guinée-Bissau renversé par une junte, est arrivé samedi 29 novembre à Brazzaville, capitale du Congo, a appris l’Agence France-Presse (AFP) de sources gouvernementales. Brièvement arrêté par les militaires mercredi, puis parti au Sénégal jeudi, M. Embalo « est arrivé à Brazzaville pour y rester », a affirmé une autre source proche de la présidence congolaise.
Le principal opposant bissau-guinéen, Domingos Simoes Pereira – dirigeant du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), parti ayant mené la Guinée-Bissau à l’indépendance en 1974 –, avait été écarté de la présidentielle du 23 novembre. Le parti avait ensuite soutenu le candidat d’opposition Fernando Dias, devenu le principal adversaire de M. Embalo lors du scrutin. M. Pereira a été arrêté mercredi en Guinée-Bissau, selon des proches et un collaborateur.
Dans une déclaration jeudi à l’AFP, M. Dias affirme avoir largement remporté la présidentielle au premier tour et accuse M. Embalo d’avoir « organisé » le coup d’Etat pour empêcher son accession au pouvoir. M. Dias affirme être « en sécurité » et se cacher dans le pays.
La journée de ce samedi a été particulièrement violente en Guinée-Bissau. Des attaques armées ont ciblé les sièges de partis d’opposition et des manifestants ont fait l’objet d’une brutale répression. Dans la même journée, les militaires au pouvoir ont annoncé la formation d’un gouvernement de transition, avec des nominations marquées par une forte présence militaire et des figures proches du régime déchu.
Le matin du 29 novembre, des hommes armés ont fait irruption dans plusieurs sièges de partis politiques à Bissau, dont celui du PAIGC, le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert, ainsi que celui du PRS, le Parti de la rénovation sociale, dont Fernando Dias est le candidat à la présidence. Les assaillants ont chassé les employés et dévasté les bureaux.
Selon les responsables du PAIGC, les assaillants ont tenté d’introduire des armes dans les locaux afin de monter des preuves pour accuser le parti d’activités illégales. En fin de journée, des militaires étaient encore postés autour du siège du PAIGC, amplifiant les craintes d’une escalade de la violence. 
Mouniro Conté, porte-parole du PAIGC, a exprimé à RFI son inquiétude face à cette attaque, soulignant qu’il pourrait s’agir d’un plan orchestré pour discréditer le parti, déjà sous pression après la contestation des résultats électoraux. Le candidat Fernando Dias, soutenu par le PAIGC, a, lui, été contraint de se cacher, tandis que l’ancien Premier ministre Domingos Simões Pereira, leader du PAIGC, demeure détenu au ministère de l’Intérieur.
Au quartier de Hafia, toujours dans la capitale, des jeunes manifestants ont été arrêtés de manière violente alors qu’ils protestaient contre la situation politique. Bubacar Turé, président de la Ligue des droits de l’homme, a dénoncé ces arrestations musclées, sans que l’on sache où les détenus sont emmenés. Ces événements s’inscrivent dans un climat de répression accrue qui suit le coup d’Etat du 26 novembre.
La mission de la CEDEAO initialement attendue à Bissau ce samedi, a été reportée à lundi, un retard qui a exacerbé la frustration des opposants.
Maître Saïd Larifou, avocat de Domingos Simões Pereira, a exprimé son mécontentement quant à l’inaction de l’organisation régionale : « La CEDEAO doit intervenir pour exiger la libération de Domingos Simões Pereira et d’Octave Lopez. Le Président sortant a manigancé ce coup d’État électoral et est protégé, tandis que ceux qui revendiquent la victoire sont persécutés. Cette situation est une agression grave qui exige une réponse internationale immédiate ».
En parallèle à ces événements de violence et de répression, les militaires qui ont pris le pouvoir ont annoncé la formation d’un gouvernement de transition de 22 ministres. Cette équipe est dominée par des civils, mais trois postes sont occupés par des militaires : un général de brigade, un général de division et un officier de marine.
Parmi les nominations, la figure de João Bernardo Vieira, neveu de l’ancien président assassiné Nino Vieira, a attiré l’attention. Il a été nommé ministre des Affaires étrangères, de la Coopération internationale et des Communautés. Ancien candidat à la présidence, João Bernardo Vieira est également reconnu pour son rôle sous les gouvernements de Domingos Simões Pereira.
Le gouvernement militaire a aussi reconduit plusieurs figures proches du précédent régime, telles que Carlos Pinto Pereira, ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, et José Carlos Esteves, qui conserve son poste aux Travaux publics.
Ce pays lusophone côtier d’Afrique de l’Ouest, situé entre le Sénégal et la Guinée (Conakry), avait déjà connu quatre coups d’Etat et une kyrielle de tentatives de putsch depuis son indépendance à l’égard du Portugal, en 1974. La proclamation des résultats électoraux a ainsi souvent donné lieu à des contestations. L’instabilité et la pauvreté ont favorisé l’implantation de narcotrafiquants, qui utilisent le territoire comme zone de transit de la cocaïne entre l’Amérique latine et l’Europe. Des responsables militaires de ce pays ouest-africain ont souvent été cités dans ces trafics au cours des dernières années.
Par Guylain Gustave Moke