La coalition au pouvoir en Ethiopie a choisi comme nouveau leader et donc prochain Premier ministre Abiy Ahmed, un gage d’apaisement à l’égard de l’ethnie oromo dont il est issu et qui a été pour beaucoup dans la démission de son prédécesseur.
“Le Conseil de l’EPRDF (le Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens) a élu le Dr Abiy Ahmed à la tête du parti”, a annoncé la télévision publique EBC.
M. Abiy devrait succéder au Premier ministre Hailemariam Desalegn, qui avait démissionné en février. Il deviendrait ainsi le premier Premier ministre appartenant à l’ethnie oromo, la principale du pays, depuis l’arrivée au pouvoir de l’EPRDF en 1991.Â
Le choix de M. Abiy doit encore être confirmé par le Parlement, dont tous les sièges appartiennent à l’EPRDF, une coalition de quatre partis constitués sur une base régionale et ethnique.
De nombreux Éthiopiens, et en particulier les Oromo, qui de longue date s’estimaient marginalisés, espèrent qu’il saura modifier le mode de gouvernement très autoritaire pratiqué par l’EPRDF.
Les Oromo, à l’origine d’un mouvement de contestation antigouvernementale sans précédent depuis la mise en place de l’actuel régime, sont pour beaucoup dans la chute d’Hailemariam Desalegn.
Celui-ci avait créé la surprise dans le deuxième pays le plus peuplé d’Afrique en annonçant sa démission le 15 février, en évoquant la promesse de réformes face à la grogne populaire.
– La frustration des Oromo –
Le mouvement de protestation avait débuté fin 2015 en région oromo (sud et ouest), puis s’était étendu courant 2016 à d’autres régions, dont celle des Amhara (nord), la deuxième ethnie du pays. Sa répression a fait au moins 940 morts.
Ces manifestations étaient avant tout l’expression d’une frustration des Oromo et des Amhara, qui représentent 60% de la population, face à ce qu’ils perçoivent comme une sur-représentation de la minorité des Tigréens au sein de l’EPRDF.
Un premier état d’urgence instauré entre octobre 2016 et août 2017 avait ramené, au prix de milliers d’arrestations, un calme relatif dans le pays. Mais Oromo et Amhara ont continué à montrer leur mécontentement au cours de manifestations ponctuelles.
M. Hailemariam avait annoncé en janvier une amnistie qui a permis la libération de milliers de prisonniers, dont des opposants politiques, activistes et journalistes.
Mais au lendemain de sa démission, un nouvel état d’urgence interdisant notamment toute manifestation a été décrété le 16 février.
Et des opposants influents, dont le journaliste Eskinder Nega et l’homme politique Andualem Arage, qui avaient été libérés en mars après plus de six années de prison, ont à nouveau été arrêtés dimanche, selon un avocat.
– Le réformateur espéré ? –
De nombreux analystes voyaient en M. Abiy, un ancien ministre des Sciences et de la Technologie, qui avait été nommé il y a quelques semaines à la tête de l’Organisation démocratique du Peuple oromo (OPDO), un repoussoir pour la minorité tigréenne.
Parmi les autres candidats figuraient l’actuel vice-Premier ministre, Demeke Mekonnen, président du Mouvement national démocratique amhara (ANDM), et Shiferaw Shigute, président du Front démocratique des Peuples du sud éthiopien (SEPDM), le parti de M. Hailemariam.
M. Abiy avait remplacé à la tête de l’OPDO Lemma Megersa, un proche allié qui a changé l’image de ce parti auparavant considéré comme un pantin des Tigréens, en le rapprochant des revendications des protestataires.
“L’élection d’Abiy est significative pour plusieurs raisons. 1) C’est la seule chose qui pouvait empêcher la dissolution de l’EPRDF. 2) Il est le seul qui soit à peu près acceptable en région oromo”, a réagi sur Twitter l’activiste oromo Mohammed Ademo.
M. Abiy a été désigné par les 180 membres – soit 45 représentants de chaque parti – du Conseil de l’EPRDF. Si le nombre de voix de chaque candidat n’est pas connu, la radio-télévision Fana, proche du gouvernement, a indiqué que M. Demeke resterait vice-président de l’EPRDF et donc vice-Premier ministre.
Certains verront dans l’émergence de M. Abiy la preuve d’une perte d’influence du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), le parti de l’ancien Premier ministre Meles Zenawi, au pouvoir de 1995 jusqu’à sa mort en 2012.
Mais des experts rappellent que M. Abiy a d’abord fait carrière au sein des services de sécurité et qu’à ce titre, il n’est pas forcément le réformateur espéré.
Par Meskerem Mentay