Cela fait plusieurs mois que le Parti communiste chinois (PCC) affiche une nette volonté d’étendre son contrôle sur la société. Début août, le Comité central a publié un document qui indique les secteurs où de nouvelles régulations sont «activement» en préparation.
Cela va de la technologie et de la lutte contre les monopoles à des domaines qualifiés de «vitaux», comme l’éducation, les transports ou la santé. Xi Jinping a inscrit l’ensemble de cette reprise en main dans un objectif de «prospérité commune» qui doit amener à une meilleure distribution des richesses ainsi qu’à un retour aux «valeurs socialistes».
Depuis six mois, Pékin renforce son intervention dans le domaine des grandes entreprises chinoises de la technologie. En un peu plus de dix ans, elles se sont développées en Chine et dans le reste du monde en bénéficiant d’une législation chinoise très souple. En même temps, elles étaient protégées de la concurrence de groupes étrangers, car la présence de ceux-ci sur le sol chinois est étroitement limitée. Mais désormais, une surveillance beaucoup plus étroite se met en place à l’égard des grands groupes de la tech chinoise.
Alibaba, le géant du commerce en ligne a été condamné à l’équivalent de 2,3 milliards d’euros pour abus de position dominante. Ant Group, le bras financier d’Alibaba, est également mis en cause depuis que les autorités financières visent sa filiale, la plateforme mobile Alipay. Celle-ci est utilisée par près d’un milliard de Chinois, qui utilisent leur téléphone portable plutôt que du cash pour faire leurs achats, emprunter ou même investir. Or, Aliplay va être scindée en deux sociétés, l’une consacrée aux crédits à la consommation, l’autre aux opérations de paiement. Dans cette restructuration, l’État sera beaucoup plus présent et pourra donc davantage tout contrôler. Ce qui mettra fin à la connaissance exclusive qu’Alipay avait des données de ses clients, et permettra au pouvoir chinois de mieux réguler les crédits qui se généralisent en Chine.
Le souci proclamé des autorités chinoises de faire cesser un développement «désordonné» de l’économie les a conduites à s’intéresser à d’autres grandes entreprises de la tech. Meituan, spécialiste des services de loisirs ou encore Didi, le groupe de réservation de voitures avec chauffeur, ont dû à leur tour payer des amendes importantes pour le même motif: abus de position dominante. Désormais, le secteur sera soumis à de nouvelles et nombreuses réglementations.
-”La propagande au programme”-
Il est probable que cet encadrement des fleurons chinois de la tech s’explique en partie par le refus de les voir prendre une importance croissante –et manifestement excessive aux yeux du régime. Celui-ci est donc résolu à imposer un contrôle sur les grandes et performantes entreprises chinoises. Cet objectif apparaît également dans d’autres secteurs. En ce début septembre, où la rentrée scolaire bat son plein, le pouvoir a décidé de s’intéresser à l’enseignement. Les quelque 300 millions d’élèves du primaire, du secondaire et de l’université doivent assimiler un nouveau manuel intitulé La Pensée de Xi Jinping sur le socialisme aux caractéristiques chinoises pour une nouvelle ère. Les principaux thèmes de cet ouvrage tournent autour de l’idée qu’il n’y a «pas de nouvelle Chine sans le Parti communiste» ou encore que «chaque citoyen a le devoir de protéger la sécurité de la nation».
La version éditée pour le primaire comporte un maximum de dessins. «Xi Dada», autrement dit «Tonton Xi» y apparaît en photo, rendant visite à une famille pauvre ou faisant des gâteaux de riz avec des villageois dans le Yunnan, au sud de la Chine. Plus loin, la légende d’une autre illustration indique ce que dit un groupe d’enfants: «Tonton Xi nous dit qu’une personne peut avoir de nombreuses aspirations, mais que l’aspiration la plus importante dans la vie doit être liée au pays et au peuple.» Pour les grands-parents des élèves chinois d’aujourd’hui, tout cela évoque une forme de propagande qui prévalait il y a une cinquantaine d’années, à l’ère maoïste.
La reprise en main concerne aussi les universités. Il est demandé aux étudiants, quelles que soient les matières sur lesquelles ils travaillent, de ne pas délaisser l’idéologie. Ils doivent s’intéresser à la patrie chinoise et se conformer à la discipline édictée par le Parti. Dès 2016, Xi Jinping avait indiqué que les universités devaient «être des bastions du Parti» et «défendre la bonne direction politique». Parallèlement, une directive du ministère de l’Enseignement supérieur demande fermement aux professeurs de ne pas parler de l’actualité en cours.
Autre cible des autorités chinoises: les entreprises de soutien scolaire. Elles sont particulièrement dynamiques en Chine. Leur poids est évalué à environ 220 milliards d’euros, et certaines sont même cotées à la bourse de New York. Nombre de parents inscrivent leurs enfants à des séries de cours intensifs afin d’améliorer leurs performances scolaires. Les plus importantes sont New Oriental Education, Koolearn Technology où les cours sont dispensés en ligne et China Maple Leaf Education qui prépare aux examens d’entrée dans les universités américaines et européennes.
Le 24 juillet, un décret gouvernemental a indiqué que les institutions de ce type devraient désormais devenir des associations à but non lucratif. Par ailleurs, elles ne pourront plus donner de cours le week-end, les jours fériés ni pendant les vacances scolaires. Il s’agit de lutter à la fois contre le surmenage des élèves et contre l’importante pression financière que cet accompagnement éducatif fait peser sur les parents. En tout cas, après ces décisions, ces entreprises ont perdu près de 40% de leur valeur à la bourse de Hongkong.
Il n’est pas impossible que les limitations imposées dans ce domaine soient liées à la difficulté que rencontre le gouvernement chinois à faire redémarrer la natalité. En 2015, la politique de l’enfant unique a été abandonnée et l’an dernier, il a été annoncé que les couples chinois étaient autorisés à avoir trois enfants. Mais beaucoup de couples hésitent à avoir une descendance en raison du coût élevé de l’éducation. Réduire autoritairement les possibilités de recourir au soutien scolaire pourrait permettre de réduire ce budget et donc, d’encourager les naissances.
Autre sujet auquel le gouvernement chinois a décidé de s’attaquer résolument: l’addiction aux jeux vidéo et les dangers qu’ils font courir à la jeunesse. De nombreux journaux sont chargés de relayer le message. Ils le font en qualifiant dans leurs colonnes les jeux vidéo d’«opium mental» et de «drogues électroniques». Des étudiants sont décrits comme pouvant passer huit heures à jouer au très populaire Honor of Kings. Tencent, le groupe internet qui a lancé ce jeu, n’est pas nommément cité. Mais il a perdu en bourse 17% de capitalisation, soit l’équivalent de 92,6 milliards d’euros.
Déjà en 2019, l’entreprise avait dû s’adapter à une loi qui interdisait aux Chinois de moins de 18 ans de s’adonner aux jeux vidéo entre 22h et 8h du matin. Tencent, comme ses concurrents, avait alors installé des systèmes de contrôle de durée. Cette fois-ci, le groupe annonce qu’un système de reconnaissance faciale va être installé sur certains de ses jeux. Objectif: empêcher que les enfants n’y accèdent avec le compte de leurs parents.
Ensuite, les dirigeants chinois ont décidé, en août dernier, d’intervenir dans le domaine des programmes télévisés. Des émissions de télé-réalité, très populaires parmi les adolescents, ne sont plus programmées en cette rentrée audiovisuelle. Elles sont en train d’être remplacées par des programmes qui devront «correspondre aux valeurs socialistes». Les émissions qui appelaient les téléspectateurs à voter, notamment, sont supprimées.
Par ailleurs, des meneurs de jeux accusés de favoriser le consumérisme de la jeunesse ont été renvoyés. Les vedettes de la télévision qui restent en place vont devoir suivre des formations d’éthique professionnelle. D’autant que cette année, la moralité de certaines d’entre elles a été gravement secouée: le très populaire Kris Wu a été accusé de viol et l’actrice Zheng Shuang, a été condamnée à une amende équivalant à 39 millions d’euros pour avoir pratiqué une évasion fiscale de grande ampleur. De plus, l’autorité de surveillance des médias a dénoncé le style «efféminé» de certains animateurs, ajoutant qu’il convient de mettre en place une «norme de beauté correcte». La presse proche du Parti communiste a détaillé ces directives en publiant des articles critiquant ceux qui se maquillent ou qui se colorent les cheveux.
Ce serait probablement une erreur de penser que toutes ces réglementations sont prises par le seul Xi Jinping. Celui-ci est certes à la fois président de la République chinoise et secrétaire général du Parti communiste. Mais pour toute décision politique ou économique, il doit être en accord avec les hautes instances du Parti. Il est peu imaginable qu’il prenne unilatéralement le risque de fixer des orientations nouvelles.
Le système politique chinois mis au point à partir de 1979 par Deng Xiaoping impose au numéro 1 chinois de tenir compte des avis des six membres qui, avec lui, forment le Comité permanent du bureau politique. Tout sujet important est également soumis à la discussion auprès de la vingtaine de conseillers du bureau politique et, dans certains cas, les 200 membres du Comité central peuvent avoir leur mot à dire. Il arrive que des votes aient lieu, afin qu’une majorité se dégage.
Si bien que les nombreuses décisions prises par le pouvoir chinois ces derniers mois sont la synthèse d’orientations mises au point dans diverses réunions. Celle qui s’est tenue mi-août pendant trois jours, à Beidaihe a sans doute permis de faire le point. Les principaux dirigeants chinois se sont retrouvés, comme chaque année, dans cette petite ville balnéaire située sur les bords de la mer Jaune, à 250 km de Pékin.
Le résultat de cette pratique du pouvoir est que nombreux sont les groupes suffisamment influents pour imposer ce à quoi ils tiennent. Ceci peut provenir des opinions qu’ils constatent dans les provinces où ils sont implantés. Ou bien, ce qui est sans doute le cas en matière d’enseignement, les positions de certains responsables du Parti reposent sur l’idée qu’il est urgent de mieux encadrer la jeunesse. Combattre ses nouvelles distractions relève sans doute d’un état d’esprit proche de l’ordre moral.
À l’évidence, il y a une relation entre la diversité des récentes décisions prises à Pékin et les nombreuses évolutions que traverse la société chinoise. Dès lors que les risques de réapparition du coronavirus sont étroitement surveillés et que la force économique de la Chine se maintient sur la scène internationale, les dirigeants du pays peuvent se consacrer à mettre au point une ligne politique collective. Leur cohésion est particulièrement sensible lorsqu’un élément de fragilité apparaît dans l’économie chinoise. Ce qui pourrait être le cas si la faillite du groupe Evergrande se confirme. Ce promoteur immobilier, le deuxième de Chine, ne paraît pas en mesure d’honorer ses dettes. Elles s’élèvent à 1.970 milliards de yuans (260 milliards d’euros), ce qui avoisine le montant du PIB de pays comme le Danemark ou la Suède.
Pour le pouvoir chinois, il est à l’évidence utile de lancer des initiatives dans des secteurs très en vue de l’économie et de la société du pays. Cela peut contribuer à resserrer les rangs du Parti communiste. Mais un autre objectif tout aussi important est d’être compris et approuvé par l’opinion publique. Bien qu’il soit autoritaire, c’est là une préoccupation constante du système de gouvernement à la chinoise. Dont la pertinence se mesurera au fil des mois.
Par Richard Arzt