
Réunis en conclave à Harare, au Zimbabwe, depuis mardi jusqu‘à mercredi, quatorze pays de l’Afrique orientale et australe réfléchissent à l‘éventualité d’utiliser le yuan comme monnaie de réserve dans leurs différentes régions.
Raisons: l’affaiblissement de l‘économie, la faible croissance mondiale, réflexion stratégique relative la gestion des réserves souveraines et l’intégration des grands changements de l‘économie mondiale où la Chine est devenue un acteur majeur. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle l’utilisation du yuan, la monnaie chinoise, dans les réserves de changes est l’un des points sur lequel vont s’appesantir les échanges.
“La plupart des pays membres du MEFMI ont contracté des emprunts ou reçu des aides de la Chine, et il serait donc économiquement rationnel de rembourser ces sommes en yuans. C’est pourquoi il est important de définir des stratégies basées sur l’adoption progressive par le continent du yuan chinois, qui est devenu ce que l’on pourrait qualifier de monnaie commune dans le commerce avec l’Afrique”, a expliqué dans un communiqué Gladys Siwela-Jadagu, porte-parole du MEFMI.
“La Chine est le plus important partenaire commercial de plus de 130 pays du monde. Le principal défi auquel sont confrontés les pays d’Afrique est de trouver le moyen de profiter des nouvelles tendances du commerce international”, a-t-elle ajouté.
L’intérêt actuel des décideurs africains pour le renminbi (« monnaie du peuple », nom officiel du yuan) vient témoigner si besoin en est encore de la bonne santé des relations sino-africaines, alors que la Chine est devenue l’un des principaux bailleurs de fonds dans des projets allant de l‘énergie aux transports en passant par l’agriculture et les télécommunications. Quant à la Chine, elle souligne à nouveau sa volonté d’internationaliser sa monnaie en vue de promouvoir davantage son commerce et ses investissements, et ainsi renforcer sa puissance sur la scène internationale.
Pour ce qui est de la Chine, l’opération est plus rentable sur le plan diplomatique. La devise chinoise vient d‘être reconnue comme une monnaie de réserve internationale par le FMI ; cette acceptation par un autre pays accroît la légitimité de cette reconnaissance. Cela pourrait être bénéfique pour la Banque de développement des BRICS dans son ambition de concurrencer le FMI et la Banque mondiale.
»Depuis quelques années, la Chine a multiplié ses échanges commerciaux avec l’Afrique, devenant de fait le premier partenaire du continent. En 2017, le volume de ces échanges s’est établi à 170 milliards de dollars, soit une augmentation de 14 % par rapport à 2016. Avec l’injection du yuan sur le marché africain, c’est une dette de 60 milliards de dollars qui sera effacée par la Chine. C’est un pied de nez que les africains font aux monnaies occidentales et pour démontrer la bonne santé des relations diplomatiques et économiques entre la Chine et l’Afrqiue », analyse le professeur Gus Moke, expert en politique Africaine.
La création de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB), pilotée par Pékin, a donné un sérieux coup de fouet à cette monnaie (yuan) longtemps cantonnée aux seules frontières de la Chine. Pékin souhaite en effet que les investissements financés par l’AIIB (50 milliards de dollars), le soient en monnaie chinoise. Ainsi,les échanges en yuan devraient compter d’ici 2020 pour la moitié des transactions réalisées par la Chine à l’étranger.
En Afrique, la question du financement des échanges en yuan est l’un des piliers de la nouvelle « Chinafrique ». Le volume des échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique a été multiplié par vingt depuis 2000, atteignant plus de 200 milliards de dollars, soit près de deux fois ceux des Etats-Unis.
Une grande partie est libellée désormais en yuan via l’Exim Bank, la banque chinoise d’import-export. Selon l’outil de suivi du RMB Swift, plus de mille banques dans 85 pays se servent déjà du yuan pour leurs transferts. La banque sud-africaine Standard Bank, dont la banque chinoise ICBC est actionnaire à hauteur de 20 %, autorise déjà les règlements commerciaux en yuan dans seize pays du continent et prévoit qu’au moins 50 % des échanges entre la Chine et l’Afrique seront libellés en yuan d’ici l’an prochain.
« La forte hausse des investissements chinois en Afrique est un facteur essentiel de cette internationalisation du yuan », explique le professeur Gus Moke. En finançant directement ses investissements, la Chine renforce ses capacités monétaires, impose le yuan comme une monnaie étalon et affaiblit d’autant le dollar. Depuis 2009, l’Afrique est au cœur de cette nouvelle stratégie monétaire menée par Pékin.
Aujourd’hui, la Banque centrale du Zimbabwe a ajouté le yuan à la liste des monnaies de sa corbeille de devises, avec le yen japonais, le dollar australien et la roupie indienne. Le Zimbabwe rejoint ainsi une liste de plus en plus longue de pays africains qui utilisent la devise chinoise comme l’une de leurs monnaies officielles. De nombreuses banques centrales africaines, comme celle du Nigeria, ont aujourd’hui l’équivalent de 10 % de leurs réserves en devises étrangères libellés en yuan.
« Il est très clair qu’un nombre croissant de pays devrait choisir le RMB [la monnaie chinoise] pour éviter des pertes de change dans leurs échanges avec la Chine, explique le professeur Gus Moke. C’est une devise forte, déjà utilisée quotidiennement dans de nombreux pays asiatiques pour leurs transactions. En Afrique, plus les échanges augmenteront, plus la devise sera demandée. »
Le fonctionnement illisible du yuan – dont le régime de change est qualifié d’intermédiaire avec une stabilité superficielle – ainsi que le contrôle strict de Pékin sur les flux de capitaux pourraient doucher les espoirs des demandeurs de la monnaie chinoise. Ces inquiétudes ont toutefois été quelque peu dissipées par le Fonds monétaire international (FMI) qui a ajouté l’an dernier le yuan à la liste du panier des droits de tirage spéciaux.
Afrique Diplo