
Depuis fin 2017, des séparatistes anglophones sont aux prises avec le gouvernement camerounais qu’ils accusent de marginalisation.
Á deux jours de la fête de l’Unité au Cameroun qui célèbre la réunification en 1961 de la partie orientale et occidentale du pays, l’histoire nous interpelle á révisiter le passé de ce conflit qui remonte à 1961 quand les élites politiques de deux territoires avec des legs coloniaux différents – l’un français et l’autre britannique – sont tombés d’accord pour former un Etat fédéral.
Né de la rédication du Southern Cameroons sous mandat britannique et de la république du Cameroun sous tutelle française, suite au référendum de 1961 organisé par les Nations unies, l’État fédéral s’est révélé très vite une réalité virtuelle.
La constitution d’une fédération très centralisée fut imposée par Ahmadou Ahidjo, Premier ministre de la partie francophone du pays, à John Ngu Foncha, son partenaire anglophone à la conférence de Foumban en juillet 1961. L’unification de mai 1972, obtenue sans surprise par référendum, accéléra cette évolution laissant les anglophones frustrés en raison de leur perception de leur marginalisation politique, de la faiblesse de la mise en valeur des ressources à leur profit, en particulier le pétrole, et des tentatives de francisation. Cela s’accompagne d’une perte d’hégémonie de l’élite côtière de la province du Sud-Ouest au profit de celle des Grassfields du Bamenda (Nord-Ouest), accaparant les postes et les meilleurs terres de la région du mont Cameroun provoquant un fort ressentiment contre eux.
La division des anglophones et un système répressif redoutable n’ont pas permis l’expression de ces frustrations jusqu’en 1982. En 1983, le gouvernement de M. Biya a donné l’ordre de modifier le GCE (General Certificate of Education) en y incluant le français comme matière obligatoire sans que l’anglais ne le soit pour le baccalauréat francophone. Cette décision a déclenché une grève des étudiants anglophones. En 1984, le régime Biya est revenu sur l’expression »République du Cameroun », nom du Cameroun français indépendant avant la réunification, pour désigner officiellement la nation entraînant des protestations de l’élite anglophone.
A la fin des années 1980, la monopolisation croissante du pouvoir économique et politique par l’élite béti, l’ethnie du président, et les effets de la crise économique et des PAS (programmes d’ajustement structurel) ont alimenté la frustration des anglophones. En août 1991, 37 des 47 préfets, les trois quarts des directeurs et responsables des compagnies para-étatiques du pays et 22 des 38 hauts fonctionnaires nommés au cabinet du Premier ministre, étaient des Béti.
La libéralisation politique de 1990 a permis la création de plusieurs associations et groupes de pression plus agressifs sur la question comme le FWCM (Free West Cameroon Movement) et le Ambazonia Movement de Fon Gorji Dinka, qui prônent la sécession. Les groupes majoritaires du CAM (Cameroon Anglophone Movement) et du AAC (411 Anglophone Congress) s’en tiennent toutefois au retour à l’Etat fédéral. D’autres associations profédéralistes ont obtenu en 1993, la création d‘un conseil national du General Certificate of Education.
Les groupes de pression anglophones ont aussi tenté tout leur possible pour faire entrer le Southern Cameroons au Commonweath, au détriment de la République du Cameroun. Pour eux, seul le Southern Cameroons réunissait les conditions historiques et linguistiques requises pour l’admission. Le pays a néanmoins été admis au Commonwealth le ler novembre 1995.
Avec le processus de libéralisation politique des années 1990, une partie de l’élite anglophone s’organise pour protester contre sa prétendue position subordonnée et demande: une plus grande autonomie en réclamant d’abord le retour à l’Etat fédéral et en adoptant ensuite des positions sécessionnistes devant le refus du régime de discuter d’une réforme constitutionnelle. Elle a par ailleurs essayé d’obtenir une reconnaissance internationale en se présentant comme une minorité opprimée dont le territoire a été annexé. En réponse à ce défi, le gouvernement de M. Biya a minimisé, voire nié le problème anglophone. Il a cherché à diviser l’élite anglophone en rémunérant des alliés, en leur attribuant des postes prestigieux et en réprimant ouvertement les activités sécessionnistes.
Le gouvernement de M. Biya a préféré ignorer le problème, diviser les anglophones et accuser le mouvement anglophone de rechercher la sécession de la région suite à la déclaration de Bamenda de 1994. Il a minimisé la division anglophone-francophone en rappelant la période unitaire de la colonie allemande et le caractère officiel du bilinguisme et du multi-culturalisme. Il explique que l’État unitaire résultait d’un vote massif et libre du peuple camerounais en 1972. Il maintient qu’un Etat fédéral serait trop coûteux et encouragerait les sentiments ethno-régionalistes. Assimilant fédéralisme et sécession, il tente de discréditer les arguments anglophones. Il semble cependant prêt à concéder un certain degré de décentralisation sur la base des dix provinces existantes.
Comme son prédécesseur, le régime actuel a utilisé les contradictions existantes entre élites du Nord-Ouest et du Sud-Ouest pour les diviser en nommant des ressortissants du Sud-Ouest à des positions clés dans leur province. Les alliés anglophones du pouvoir ont condamné les appels démagogiques et irresponsables des responsables du mouvement tout en contestant leur qualité de porteparole de la communauté anglophone.
Contrairement aux attentes des anglophones, le fédéralisme n’a pas permis une parité stricte pour ce qui concerne leur héritage culturel et ce qu’ils considèrent comme leur identité d’anglophone. Il s’est révélé n’être qu’une phase transitoire de l’intégration totale de la région anglophone dans un Etat unitaire fortement centralisé. Cette situation a graduellement favorisé une prise de conscience anglophone fondée sur le sentiment d‘être marginalisé, exploité et assimilé par un Etat dominé par les francophones.
La volonté manifeste du régime de nier tout problème anglophone et sa détermination à défendre l’Etat unitaire par tous les moyens, pourraient provoquer une escalade des revendications anglophones jusqu’à un point de non-retour. Les morts du 01 mars 1996 à Limbé lors de la manifestation organisée contre la nomination des délégués du gouvernement à la place des maires élus, ne sont pas de bon augure.
Par Prof Gus Moke
Politologue/Expert en Politique Africaine