
Depuis la levée des sanctions de la CEDEAO contre le Niger, c’est la tension entre ce pays et le Bénin qui fait la une des médias. Le dernier événement dans la passe d’armes entre les deux pays est la sortie médiatique du porte-parole du CNSP qui a émis un communiqué en réaction à l’interpellation de cinq Nigériens sur la plateforme de Sèmè-Kpodji.
Samedi 8 juin, la junte au pouvoir à Niamey a dénoncé dans un communiqué le « kidnapping suivi d’une prise d’otage » de cinq de ses ressortissants arrêtés trois jours plus tôt au port béninois de Sèmè-Kpodji. C’est là que le pétrole brut puisé dans les gisements d’Agadem, dans l’est du Niger, doit être chargé en bateau pour être livré à l’international, en vertu d’un accord signé entre Niamey, Porto-Novo et la China National Petroleum Corporation (CNPC) en 2019.
Le régime militaire a prévenu qu’il prendrait « toutes les dispositions » pour obtenir « la libération sans conditions » de ces citoyens, tous employés selon lui de Wapco, l’entreprise gestionnaire du transport du brut. Mais pour le Bénin, « au moins deux parmi ces personnes sont des agents nigériens au service du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie [CNSP, l’organe décisionnaire de la junte nigérienne] », a dénoncé Elonm Mario Metonou, le procureur spécial de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet), lors d’une conférence de presse organisée jeudi à Cotonou.
Abdramane Amadou a, dans un premier temps, rappelé les trois accords principaux encadrant l’exportation du pétrole brut nigérien par le pipeline reliant le port de Sèmè-Kpodji aux puits de pétrole situés dans l’Agadem. Il s’agit de : l’accord bilatéral entre la République du Niger et la République du Bénin relatif à la construction et l’exploitation d’un système de transport des hydrocarbures par pipeline du 23 janvier 2019 ; l’accord du gouvernement hôte relatif à la construction et à l’exploitation d’un système de transport des hydrocarbures par pipeline entre la République du Bénin et la West African Oil Pipeline Company Benin du 5 août 2019 ; et la convention de transport entre la République du Niger et la West African Oil Pipeline Company Niger relative au système de transport des hydrocarbures par canalisation Niger-Bénin du 15 septembre 2019.
En rappelant ces différents accords, le communiqué insiste sur le fait qu’ils n’ouvrent à aucun moment la possibilité pour l’un des contractants de bloquer le fonctionnement normal du système de transport des hydrocarbures. « Même un éventuel conflit entre le Niger et le Bénin ne saurait de droit justifier une entrave au fonctionnement du système de transport », a insisté le colonel. Poursuivant sur cette même lancée, il a martelé qu’« aucun lien ne peut être fait entre la fermeture par le Niger pour raison de sécurité de sa frontière avec le Bénin et le fonctionnement régulier du système de transport des hydrocarbures par pipeline entre le Niger et le Bénin ».
Cette arrestation a envenimé les relations entre le Bénin et le Niger, au plus bas depuis le coup d’Etat de juillet 2023 à Niamey. Engagé sur une ligne ultra-souverainiste, le régime militaire nigérien suspecte Porto-Novo de vouloir l’empêcher de contrôler le chargement du pétrole sur un gros-porteur arrivé dans les eaux territoriales béninoises fin mai.
Début mai, Patrice Talon avait fait de cette réouverture une condition sine qua non au démarrage de l’exportation du pétrole brut, au moment où un premier gros-porteur venait d’arriver dans les eaux béninoises pour en charger 135 000 tonnes. En vain. Le 11 mai, le premier ministre nigérien, Lamine Zeine, avait réitéré sa décision de maintenir la frontière fermée, invoquant des raisons de sécurité nationale. Il avait alors accusé son voisin d’abriter « des bases françaises » dans le Nord afin « d’entraîner des terroristes qui doivent venir déstabiliser » le Niger.
Ces accusations avaient été réfutées par la France et le Bénin, deux pays alliés qui, au lendemain du coup d’Etat, avaient affiché leur soutien à l’option d’une intervention militaire régionale que tentaient alors de planifier les voisins du Niger dans l’objectif de libérer le président déchu, Mohamed Bazoum. Onze mois plus tard, ce dernier reste détenu au palais avec son épouse.
Une médiation chinoise envoyée mi-mai à Cotonou et à Niamey avait fini par convaincre Patrice Talon de tendre la main au régime militaire en accordant une autorisation spéciale temporaire permettant à la première cargaison de brut d’être chargée au port de Sèmè-Kpodji le 19 mai. Mais depuis, la discorde persiste. Sur demande de Pékin, le Bénin a envoyé fin mai une délégation gouvernementale à Niamey dans l’espoir d’obtenir si ce n’est une réouverture totale de la frontière, du moins une dérogation concernant l’exportation du pétrole.
L’enjeu financier est colossal tant pour Niamey, Porto-Novo que Pékin. Inauguré en novembre 2023, l’oléoduc d’Agadem, long de 2 000 km, doit permettre à plus de 90 000 barils de pétrole de transiter chaque jour depuis les gisements de l’Est nigérien jusqu’aux côtes béninoises. Mais depuis, l’exportation du brut à travers ce pipeline – qui représente un investissement de plus de 7 milliards de dollars de la part de la Chine, selon une source officielle béninoise – est entravée par le refus du Niger de rouvrir sa frontière avec le Bénin, fermée au lendemain du putsch de 2023.
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