Un tribunal de Cotonou a condamné mardi les principaux acteurs du secteur pharmaceutique au Bénin à des peines allant jusqu’à quatre ans de prison ferme, marquant une nouvelle étape dans la guerre menée par le gouvernement contre les faux médicaments.
Condamnés pour “vente de médicaments falsifiés, exposition, détention en vue de vente, mise en vente ou vente de substances médicamenteuses falsifiées”, les accusés – dont les cinq principaux distributeurs du pays – ont reçu leur verdict comme un coup de massue.
Le Bénin a la réputation, avec le Nigeria, d’être l’un des hauts lieux du trafic de faux médicaments en Afrique sub-saharienne. C’est par le port de Cotonou que transitent près d’un tiers des produits incriminés, selon l’OMS. Ils seraient responsables du décès de 100.000 personnes chaque année sur le continent.Â
Le gouvernement a décidé d’accélérer la lutte: ces douze derniers mois, plusieurs tonnes de médicaments ont été saisies et de nombreux commerçants inculpés.
Avec ce procès, la justice s’attaque à la source d’approvisionnement.
Comme dans l’immense majorité des pays africains, l’industrie pharmaceutique est embryonnaire au Bénin. Le pays dépend des importations, plus spécifiquement d’un importateur: New Cesamex, un laboratoire basé en RD Congo. Son représentant au Bénin est Atao Hinnouho, député de l’opposition, chez qui plusieurs centaines de cartons de médicaments ont été saisis début décembre.
L’homme est introuvable mais deux de ses collaborateurs ont été condamnés mardi à six et dix-huit mois de prison ferme pour “trafic et vente illicite de médicaments”.
New Cesamex fournit à la fois certains grossistes de pharmacies et les revendeurs de rue, une confusion qui inquiète les consommateurs.
Pharmacies en crise –
“Je me demande si nous avons encore des garanties à payer les médicaments aux pharmacies si leurs sources d’approvisionnement sont devenues douteuses”, lance Alfred Aklassato, 60 ans, rencontré une ordonnance à la main et avec son sachet de médicaments à 28.500 francs CFA (43 euros).
Pour Ernest Gbaguidi, responsable d’une association de consommateurs, “c’est un procès qui vient à point pour assainir le secteur. Nous craignions beaucoup pour la santé des populations”. Il met en garde contre ce coup de filet qui englobe la quasi-totalité du secteur. “Les pharmacies qui doivent nous garantir l’accès aux médicaments de qualité ne devraient pas avoir des soupçons qui leur pèsent dessus”. “Cela ne rassure pas et porte un coup à leur crédibilité.”
Car si tout le monde reconnaît de graves irrégularités, les pharmaciens et grossistes refusent d’être tous mis dans le même sac.
Sous couvert d’anonymat, un responsable de l’Ordre des pharmaciens exprime son “incompréhension”. Il dénonce une “injustice dans cette affaire” sans toutefois nier que “deux ou trois grossistes répartiteurs opèrent dans de faux circuits.”
“C’est un procès aux multiples non-dits”, confie un pharmacien révolté, qui soupçonne le gouvernement de vouloir faire la place à de nouveaux grossistes en fragilisant ceux qui opèrent déjà , en les condamnant à des peines de prison ferme.
Le secteur informel, lui, a été démantelé depuis plusieurs mois. Du moins, en apparence.
Le marché d’Adjégounlè, au coeur de Cotonou, ressemblait autrefois à une immense pharmacie. Cette ancienne plaque tournante du trafic n’a pas survécu à l’opération de “nettoyage” lancée par le gouvernement il y a tout juste un an.
Depuis février 2017, les étals ne proposent plus de médicaments mais des pommades et des produits de beauté.
Alima Adédjouma, une commerçante, jure “avoir perdu gros dans cette affaire” et ne “pense pas refaire le commerce des produits pharmaceutiques”.
Pourtant, “les (faux) médicaments sont toujours dans le circuit”, “les ordonnances circulent encore”, affirme un témoin. “Sauf que les vendeuses sont sur le qui-vive et n’exposent plus les produits”.
Sébastienne Alavo est l’une d’elles. Elle dit n’avoir aucune autre source de revenus et continue son commerce mais sans “exposer ses boîtes de médicaments”. “Les quelques rares clients qui (me) restent ne viennent que la nuit”.
A l’époque du démantèlement, le directeur général du Groupement d’achats des pharmaciens d’officine du Bénin, le Dr Falilou Adebo, avait demandé aux autorités de couper “les sources d’approvisionnement” du marché.
“Qui sont ceux qui alimentent Adjégounlé? C’est ceux-là qu’il faut traquer et juger”, avait-il lancé sur une télévision locale. C’est désormais chose faite. Avec le procès express qui a pris fin mardi, tout le secteur a été frappé.
Par Bénoit Tall