Le Président sortant et candidat indépendant Abdelmadjid Tebboune a été réélu Président de la République en obtenant 5.329.253 voix, soit un taux de 94,65% des voix exprimées, à l’issue de l’élection présidentielle qui s’est déroulée samedi, selon les résultats préliminaires annoncées, dimanche, par le président de l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE), Mohamed Charfi.
Il est suivi du candidat du Mouvement de la société pour la paix (MSP), Abdelaâli Hassani Cherif qui a obtenu 178.797 voix, soit un taux de 3,17% et du candidat du Front des forces socialistes (FFS), Youcef Aouchiche qui a obtenu 122.146 voix, soit un taux de 2,16%.
La légitimitéÂ
La victoire du président sortant, un pur produit du système, ancien préfet puis ministre, âgé de 78 ans, était censée consolider un régime sorti ébranlé du soulèvement pacifique du Hirak de 2019-2020. Elle était supposée redonner une boussole à un pouvoir qui avait perdu toute direction, désarçonné autant par les mutations de la société algérienne que par un environnement régional en pleine recomposition stratégique. Il n’est pas acquis que le score de 94,65 % de voix attribué à M. Tebboune suffise à masquer la fragilité de l’opération.
Non seulement ce taux de type soviétique réveille de funestes souvenirs, ceux des régimes verrouillés de jadis, mais l’imbroglio qui a suivi l’annonce des résultats jette ouvertement le doute sur la sincérité de l’exercice. La commission électorale a en effet avancé un mystérieux chiffre de participation de 48,03 %, alors même que le rapport entre le total des suffrages exprimés (5,63 millions) et le corps électoral (24,35 millions) fait apparaître un taux de 23 %, soit un pourcentage deux fois plus faible.
La distorsion est tellement flagrante que les directeurs de campagne des trois candidats en lice – Tebboune lui-même, Abdelaali Hassani, du Mouvement de la société pour la paix (islamo-conservateur), et Youcef Aouchiche, du Front des forces socialistes (démocrate à forte implantation kabyle) – ont conjointement dénoncé des « contradictions » et des « irrégularités » à propos des chiffres publiés par la commission électorale. M. Hassani est même allé jusqu’à évoquer une « mascarade ».
L’Enjeu est financier
Si le débat autour de la participation est si crucial, c’est que celle-ci est la jauge de la légitimité du président réélu. En 2019, à peine 39 % des électeurs algériens s’étaient déplacés. Or, cinq ans plus tard, la désaffection semble s’être aggravée, avec un taux de participation chutant à 23 %.
Probablement soucieux de masquer l’ampleur de la désaffection populaire, Mohamed Charfi, le président de l’ANIE, avait pris quelques libertés avec la transparence en annonçant une « moyenne de taux de participation » de 48,03 %, basée sur les taux de participation dans les wilayas (départements) divisés par leur nombre, 58. Le taux de participation est, en réalité, probablement inférieur à 25 %, si l’on rapporte le nombre de suffrages exprimés, 5 630 196, aux 24 351 551 inscrits sur les listes (le nombre de bulletins nuls ou blancs n’ayant pas été donnés).
Lundi, les deux candidats défaits sont repartis à la charge en accusant l’ANIE de « fraude manifeste » et en annonçant leur intention de déposer des recours auprès de la Cour constitutionnelle. L’enjeu est financier : en obtenant moins de 5 % des suffrages exprimés, ils ne seront pas remboursés de leurs frais de campagne. Il est aussi politique. Le but de l’ANIE, en réduisant leur score, explique l’analyste Nadjib Belhimer, serait « d’atténuer l’impact de l’abstention, même si cela ne change en rien les résultats ».
Le défi géopolitique
Une fois passée cette séquence électorale, Abdelmadjid Tebboune va-t-il pouvoir rétablir la position stratégique de son pays, très dégradée ces dernières années ? Le défi géopolitique posé par l’arc de crises se déployant aux frontières nationales sera, sans nul doute, l’un des plus gros dossiers de son second mandat.
Si la menace est souvent dramatisée dans la presse algérienne sur le mode du complot – « Un plan se dessine visant à encercler l’Algérie par des conflits dans les pays limitrophes (…), dans un objectif évident de déstabilisation », écrit ainsi le quotidien Le Soir d’Algérie dans une chronique publiée le 2 septembre, intitulée « La machination » –, il est un fait que l’environnement régional du pays est devenu volatil. Et qu’Alger peine à reprendre la main, comme si son logiciel diplomatique était frappé d’obsolescence.
Alors que le différend avec le Maroc autour du Sahara occidental ne cesse de s’envenimer, au point de nourrir une inquiétante course aux armements, un nouveau foyer de crise s’est allumé en 2024 avec le Mali. Le 25 janvier, Bamako a en effet dénoncé l’accord d’Alger sur la stabilisation du nord du Mali, signé en 2015 avec les groupes rebelles sous les auspices de l’Algérie.
Le geste de rupture ne faisait que consacrer une nouvelle donne sur le terrain, où la junte malienne issue des deux putschs de 2020 et 2021 a repris l’offensive contre les groupes rebelles du Nord – touareg et arabes – avec l’appui des paramilitaires russes de Wagner.
Le défi  économiqueÂ
L’Algérie est condamnée à accroître sa croissance pour endosser des dépenses sociales et des investissements publics grandissants, en cherchant la confiance des investisseurs privés ou non.
Lors de la campagne électorale, le président Abdelmadjid Tebboune a promis 2 millions de logements sociaux supplémentaires aux Algériens, alors qu’un million et demi d’habitations, dont les travaux avaient été lancés depuis plusieurs années, ont déjà été livrées durant son premier mandat (2019-2024), selon le ministère de l’habitat.
Lui-même ancien titulaire de ce portefeuille, le chef de l’Etat réélu sait l’importance de ces logements, construits depuis 2001, notamment pour amoindrir la rhétorique des islamistes auprès des plus démunis. Une forme d’achat de la paix sociale, qui n’a pas empêché les Algériens de réclamer dans la rue, en 2019, le départ du président Abdelaziz Bouteflika, avec le mouvement populaire du Hirak, depuis fortement réprimé.
Le président Abdelmadjid Tebboune a aussi promis des hausses de revenu aux électeurs, alors que la réforme, prévue en 2022, du très coûteux système de subventions des produits de base semble oubliée. Une fois au pouvoir, si les caisses publiques le permettent, l’Etat pourvoira.
La situation s’améliore depuis 2022 avec une croissance annuelle d’environ 4% et des réserves de changes de 70 milliards de dollars. Mais l’économie et le financement des aides sociales restent dépendants des hydrocarbures, les exportations de gaz naturel fournissant 95% des ressources en devises.
Comme de coutume, le rouleau compresseur de la realpolitik va s’employer à occulter doutes et interrogations. Cnq ans après le Hirak, étouffé par les interdictions de rassemblement liées au Covid et l’arrestation de ses figures de proue, le bilan de M. Tebboune souffre « d’un déficit de démocratie » qui pourrait constituer un handicap lors d’un nouveau mandat.
L’Algérie est le plus grand pays d’Afrique par sa superficie. Avec près de 45 millions d’habitants, c’est le deuxième pays le plus peuplé du continent après l’Afrique du Sud à organiser des élections présidentielles en 2024 – une année au cours de laquelle plus de 50 élections se déroulent dans le monde, englobant plus de la moitié de la population mondiale.
Par Guylain Gustave Moke