Au Sahel, la sécheresse chasse les troupeaux et leurs bergers vers des contrées plus accueillantes, déclenchant une “crise pastorale” qui risque d’aggraver l’insécurité alimentaire dans une région déjà fragilisée par la présence de groupes jihadistes, alertent les spécialistes.
Traditionnelles, les migrations transfrontalières de troupeaux en Afrique de l’ouest ont été cette semaine au centre d’une réunion de trois jours des membres du Réseau de prévention des crises alimentaires (RPCA), au siège de l’OCDE à Paris.
Dans plusieurs pays, “il n’y a pas assez de fourrage, et les troupeaux sont partis plus tôt que prévu, en octobre au lieu de janvier, car ils n’avaient plus rien à manger”, explique Maty Ba Dio, coordinatrice régionale du projet régional d’appui au pastoralisme au Sahel, basée à Ouagadougou.Â
“La difficulté, c’est qu’ils sont arrivés alors que les populations agricoles du sud n’avaient pas complètement fini les récoltes, les animaux ont envahi et détruit les parcelles de culture (…), cela a créé des conflits énormes”, regrette-t-elle. Les investissements en semences et engrais ont été anéantis.
Dans les pays côtiers qui reçoivent les migrations de troupeaux, “comme le Nigeria, le Ghana, ou le Togo”, les conflits “ont abouti à des morts d’hommes, avec des images difficiles à regarder”, souligne aussi Mme Ba Dio.
– Eleveurs contre agriculteurs –
Dans le nord-est du Nigeria, plusieurs régions connaissent depuis le début de l’année une multiplication des affrontements entre éleveurs nomades et paysans sédentaires pour l’accès à la terre, l’eau et les pâturages, provoquant des centaines de morts et obligeant le gouvernement à déployer l’armée dans plusieurs Etats du pays.
Les rivalités séculaires éleveurs-agriculteurs sont avivées par la désertification en cours. Mais l’inquiétude des 150 responsables ouest-africains, dont plusieurs ministres de l’Agriculture ou de l’Elevage, des institutions régionales africaines et des organisations internationales (Onu, UE, Banque Mondiale, agences de développement, ONG…) participant à la réunion de Paris est d’autant plus grande que les déplacements de troupeaux sont aussi freinés par une montée des violences armées au Sahel.
“Les troupeaux venant du Niger ou du Tchad ne peuvent plus gagner leurs zones de refuge traditionnelles autour du lac Tchad en raison de l’insécurité totale qui y règne”, note madame Ba Dio.
“On ne peut plus aller dans beaucoup de zones pastorales, où il y avait du fourrage pour les animaux, à cause du jihadisme”, car “le banditisme s’y est installé”, résume Djibo Bagna, président du réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’ouest (ROPPA).
Idem pour la région du Liptako-Gourma, un vaste rectangle à cheval sur le Mali, le Burkina Faso et le Niger.
Située sur le bassin du fleuve Niger, c’est une zone de transhumance des troupeaux. C’est aussi exactement la région où l’ONU discernait en mars, dans un rapport, des “menaces terroristes croissantes de l’Etat islamique dans le Grand Sahara (ISGS) et de Ansar al-Islam”.
“Les bandes organisées et la circulation d’armes légères ont empiré la situation, on en vient dans les pays du sud, agricoles, à montrer du doigt les éleveurs pasteurs, qui viennent du nord”, se désole Ibra Touré, géographe au Comité permanent inter-Etats de lutte contre la sécheresse au Sahel (CILSS).
– “Sévère détérioration” –
Au Nigeria, la crise est aussi amplifiée par certains médias accusés de donner une dimension ethnique et religieuse à un conflit pourtant séculaire entre éleveurs nomades, souvent musulmans, et agriculteurs, chrétiens.
Une réunion de haut niveau sur le sujet est prévue le 28 avril à Abuja avec les ministres de l’Elevage de 15 pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest, ainsi que ceux de la Mauritanie et du Tchad, a annoncé à Paris Sekou Sangaré, le Commissaire à l’Agriculture de la CEDEAO.
Une solution doit être trouvée rapidement. La situation alimentaire des pays du Sahel, déjà mauvaise, est en “sévère détérioration”, a prévenu le RPCA, qui assure une veille de la production agricole en Afrique de l’ouest.
Il craint de voir le nombre de personnes en besoin d’assistance alimentaire dans la région gonfler à 10,6 millions d’ici l’été, au lieu de 7,1 millions actuellement.
Les récoltes céréalières ont légèrement progressé, à près de 68 millions de tonnes, mais des baisses sensibles sont enregistrées en Gambie (-29%), au Burkina Faso (-11%), en Guinée Bissau (-7%), et au Tchad (-5%). Et les prix des céréales et tubercules locales restent plus élevés que la moyenne des cinq dernières années. La production de fourrages a aussi baissé de 95% en Mauritanie par rapport à la moyenne des cinq dernières années, et de 80% au Sénégal.
Par Micheline Nzambe