L’épidémie d’Ebola, identifiée pour la première fois en 1976 au Soudan et en République démocratique du Congo (ancien Zaïre), a été déclarée le 8 mai par Kinshasa et la première équipe de l’OMS, de MSF et de la Division provinciale de la santé s’est rendue ce jour-là, le 8, à Bikoro. Trois cas suspects sont signalés dans la capitale provinciale, Mbandaka, une ville de 700 000 habitants.
Pour l’OMS, il y a un avant et un après 2014. Le bilan de l’épidémie qui a sévi en Afrique de l’Ouest est très lourd avec au moins 11 000 décès et 10 000 survivants avec séquelles. La mobilisation financière est de taille : le système ONU-OMS mobilise 3,6 millions de dollars. La fondation Wellcome Trust a provisionné plus de 2 millions d’euros pour la recherche et l’Italie en a promis 300 000. Les besoins sont évalués à 25 millions d’euros pour les 3 prochains mois.
Pour le professeur Gus Moke de l’Université de Birmingham, en Angleterre, le fléau d’Ebola qui attaque le continent africain est le résultat d’un manque de politique de santé adéquate.
La politique de santé est une posture officielle exprimée par le gouvernement dans le domaine de la santé, lors de déclarations solennelles ou au sein de documents de planification. Elle inclut l’identification de priorités, la détermination d’objectifs, le choix d’instruments pour servir à la politique ainsi définie, la mise en place d’une infrastructure institutionnelle et une allocation spécifique de fonds. La mise en œuvre d’une politique de santé suppose que l’on dispose d’informations sur le potentiel des services, sur leurs activités, sur l’état de santé des populations, les facteurs de risque et les sous-groupes les plus vulnérables, le tout de façon continue.
Nombre de pays en voie de développement se dotent de plans de développement dès le début des années soixante, à l’aube de l’indépendance politique. Les premiers éléments d’une politique de santé y sont inscrits. Dans la pratique, cependant, il arrive souvent que la politique formulée se réduise à un vœu pieux. La diminution de la part du budget national consacrée à la santé traduit le désengagement progressif des gouvernements dans ce domaine.
Devant la faible efficacité d’un système qui n’érodait que très lentement les niveaux de mortalité des populations africaines, les gouvernements ont été conduits à adopter une stratégie plus adaptée aux besoins du plus grand nombre. Les années soixante-dix ont ainsi vu se forger de nouveaux concepts qui ont abouti à la formulation de la Stratégie des soins de santé primaires.
Cette stratégie a été définie lors de la conférence tenue en 1978 à Alma-Ata, en Union soviétique, pour réaliser ce que l’Assemblée mondiale de la santé avait tracé comme objectif un an auparavant, sous la forme du slogan ”la santé pour tous en l’an 2000”. La conférence d‘Alma Ata, organisée sous l’égide des Nations unies – OMS et FISE plus précisément -, marque une profonde rupture dans la façon dont les problèmes de santé dans le Tiers monde en général, en Afrique en particulier, ont été abordés. En 1983, la presque totalité des pays du monde avait adopté l’idée que I ’Etat, responsable du bien-être de ses populations, se devait de tout mettre en œuvre pour orienter les services de santé publique vers la satisfaction des besoins essentiels de tous.
Dès le début, la Déclaration d’Alma-Ata fit solidement soutenue par la plupart des pays africains. L’OUA proclame dans la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples de 1981 qu’il est du droit de chaque individu de jouir de meilleur état de santé physique et morale (article 16.1) et que les Etats signataires s’engagent à prendre les mesures qui s’imposent pour protéger la santé de leur peuple et pour s’assurer que chaque individu reçoit l’attention médicale qui lui est due(article 16.2).
L’Assemblée des chefs d’Etat et de gouvernement de l’OUA a constamment réaffirmé son adhésion à la Déclaration de la santé pour tous en l’An 2000 et l’adoption du slogan comme principe fondateur du développement économique et social. En 1990, le sommet de l’OUA, auquel participaient les représentants officiels de 31 pays, a adopté l’Initiative de Bamako, conçue pour mieux gérer les soins de santé primaires dans l’ensemble de l’Afrique au sud du Sahara.
Pourtant, le bilan global de la Stratégie des soins de santé primaires en Afrique conduit cependant au pessimisme. L’Afrique Sud-Sahara est loin d’approcher l’objectif de la Santé pour tous, préconisé lors de la Conférence d’Alma-Ata. Pour l’ensemble de l’Afrique sud -Sahara, seulement un quart de la population rurale et les demi tiers de la population urbaine ont un accès à l’eau potable, à une bonne condition de vie et d’hygiène.
L’échec patent des politiques de santé en Afrique, telles qu’elles ont été développées au cours des années soixante-dix, résulte en grande partie d’un manque de ressources attribuées au secteur de la santé, renforcé par un engagement des gouvernements et de moins en moins actif.
La difficulté principale réside dans le contrôle très fortement centralisé exercé par les bureaucraties des gouvernements nationaux, affaiblissant l’administration chargée de gérer la santé publique pour la périphérie. Cette hypercentralisation fait obstacle à la mise en œuvre d‘une nouvelle rationalité. La plupart des bureaucrates responsables du domaine de la santé sont restés enfermés dans une logique caractérisée par le privilège des villes sur les campagnes, des hôpitaux sur les autres centres de santé et de la haute technologie médicale sur les soins essentiels, ce système se perpétuant de lui-même à la fois politiquement et administrativement.
La rigidité des structures de pouvoir traditionnelles a également fait échec à l’intégration des activités de santé dans un projet de développement économique et social global comme cela avait été préconisé lors de l’élaboration de la stratégie des soins de santé primaires.
Enfin, la stratégie originelle a été victime de la crise économique internationale qui a touché les pays africains de plein fouet. La crise économique a conduit à une prise de conscience que la stratégie de la Santé pour tous en l’an 2000 avait été trop ambitieuse dans ses objectifs, dans la mesure où les ressources nationales disponibles étaient trop limitées pour satisfaire les besoins, même de base, de l’ensemble de la population.
Les progrès de la technologie médicale continuent à imprimer leur marque sur l’évolution de la lutte contre les maladies en Afrique. Après l’éradication de la variole, la lutte contre certaines endémies, telles que la trypanosomiase, la fièvre jaune et la méningite, a fait reculer le spectre de la mort. Il est en général très difficile de faire la part entre ce qui revient à l’action sanitaire directe et ce qui est dû à une amélioration des conditions de vie et d’hygiène. Ainsi l’effet de l’action médicale sur Ebola en 2014 ne peut être mesuré de façon précise que dans certaines circonstances.
Cinq espèces de virus du genre Ebola ont été identifiées, dont trois qui ont déjà été à l’origine d’éclosions de la maladie à virus Ebola. L’éclosion de 2014 est causée par la souche la plus virulente, l’espèce Zaïre(RDC), qui a été associée à un taux de mortalité pouvant atteindre 90 % selon les données historiques. Ainsi la réponse politique de l’OMS doit être très ponctuelle et rapide en 2018.
Contrairement en 2014, 4 000 vaccins sont en route vers la RDC. Mais quand et qui vacciner en priorité ? La décision politique ne doit pas perturber la réponse médicale, qui doit être coordonnée entre tous les acteurs scientifiques.
Qui plus est, le manque des recherches scientifiques sur la prévention d’Ebola ( la période d’incubation, la spécification des symptômes de l’infection, bien que la détection de l’ARN du virus Ebola et des anticorps dirigés contre le virus dans le sang offre une méthode courante et rapide) d’une part, et d’autre part le manque de la politique de santé adéquate en RDC ( la clé pour circonscrire les éclosions ou la prévention de la transmission de l’animal à l’humain, l’infrastructure institutionnelle médicale), nous renseignent que le monde médical est encore très loin de cerner la réalité pour mieux maitriser ce tueur moderne: ”Ebola.”
L’OMS et l’ONU doivent encourager des recherches scientifiques sur la prévention d’Ebola, dans un approche de ‘mieux vaut prévenir que guérir’. Les pays touchés, travaillant en concert avec le monde ( OMS-ONU) feraient mieux de révisiter leur Stratégie des soins de santé primaires ( la Déclaration d’Alma-Ata), réformer la rigidité des structures de pouvoir traditionnelles et moderniser leur infrastructure institutionnelle médicale.
Article publié par Afrique Diplo
( Un article ”Opinion-Editorial” de Prof Gus Moke)
Professeur et Chercheur á l’Université de Birmingham
Vice-Président de l’Association des Professeurs Africains en Europe