
Pendant la guerre froide, «la théorie des dominos » était une doctrine américaine selon laquelle le basculement idéologique d’un pays en faveur du communisme allait être suivi de celui de ses voisins.
En Afrique, on assiste ces dernières années à la résurgence de cette mécanique, bien qu’elle ait été décriée par le passé. En 18 mois, il y a eu neuf coups ou tentatives de coups d’État sur le continent africain.
Au Burkina Faso, au Tchad, en Guinée, au Mali, au Soudan, au Niger et en Guinée-Bissau, ils ont échoué. Au Gabon, juste après l’annonce officielle dans la nuit de la victoire de M. Bongo avec 64,27% des voix, les putschistes ont annoncé mercredi mettre « fin au régime en place » et avoir placé en résidence surveillée le président sortant.
»Circonstances »
Au Mali et au Burkina Faso, les gouvernements faisaient face, avant les coups d’État, à une violence de la part de l’État islamique et d’Al-Qaïda. Dans ces deux pays, les juntes militaires ont utilisé cette menace pour justifier leurs actions. Au Burkina Faso, la présence de l’État islamique est encore plus forte.
L’histoire de la Guinée Bissau est celle de nombreuses tentatives de prises de pouvoir depuis son indépendance du Portugal en 1974. Le président en place a été élu dans des circonstances contestées en 2020, ainsi la dernière tentative de coup d’État avait pour but de l’en chasser. En Guinée, c’est une tentative de modification de la constitution pour que l’ancien président puisse prétendre à un troisième mandat consécutif qui a mené les militaires à passer à l’action.
Les manières de procéder des militaires ont également été différentes. Au Tchad, c’est le fils de l’ancien président, maintenu au pouvoir 30 ans, qui a été installé afin de créer un gouvernement de transition. Au Soudan, c’est un coup d’État en plusieurs étapes qui a eu lieu, d’abord avec des manifestations du peuple en 2019 pour mettre fin à la dictature, puis une prise de pouvoir militaire en 2020 et l’installation d’un nouveau dirigeant en 2022.
Á l’inverse du Mali et du Burkina Faso, le Niger n’est pas en partie conquis par les groupes djihadistes. Les putschistes n’incarnent pas une nouvelle génération montante et insatisfaite au sein de l’armée. Âgé de 59 ans, le principal auteur du coup d’État, le général Abdourahamane Tiani, était le chef de la garde présidentielle depuis 2011 ; tandis que le numéro 2 de la junte, le général Salifou Mody, a 60 ans et était le chef d’état-major des armées de 2020 à avril 2023.
La motivation des putschistes semble davantage liée à leur sort personnel qu’à la politique sécuritaire du pays et reflète les tensions préexistantes entre le président Mohamed Bazoum et une partie de la hiérarchie militaire. Outre le fait que, fin mars 2021, quelques jours avant son investiture, une tentative de coup d’État avait failli l’empêcher d’accéder au pouvoir, Mohamed Bazoum avait récemment procédé à des changements parmi ses sécurocrates.
Au Gabon, les putschistes sont des membres de la garde républicaine (GR), unité d’élite et garde prétorienne de la présidence reconnaissable à ses bérets verts, ainsi que des soldats de l’armée régulière et des policiers.
Les putschistes ont estimé que l’organisation des élections n’avait « pas rempli les conditions d’un scrutin transparent, crédible et inclusif tant espéré par les Gabonaises et les Gabonais ». Ils ont dénoncé « une gouvernance irresponsable, imprévisible, qui se traduit par une dégradation continue de la cohésion sociale, risquant de conduire le pays au chaos ».
La famille Bongo dirige ce pays d’Afrique centrale riche en pétrole depuis plus de 55 ans. M. Ali Bongo, 64 ans, a été élu en 2009 après la mort de son père Omar Bongo Ondimba, qui avait dirigé le Gabon pendant plus de 41 ans. L’opposition a régulièrement dénoncé la perpétuation d’une « dynastie Bongo » de plus de 55 ans à ce jour. Ali Bongo briguait un troisième mandat, réduit de 7 à 5 ans, aux élections de samedi.
»La France aveugle »
Tout comme elle n’a rien vu venir »le printemps Arabe », la France est aveugle de ce changement de paradigme géopolitique qui fragilise la »France-Afrique. Il ya plusiers raisons pour cela:
- Les plus jeunes africains n’acceptent plus le paternalisme de l’ex-puissance coloniale. Du coup, ils deviennent de plus en plus hostiles à la France.
- Paris a accru le ressentiment d’une partie de l’opinion africaine en participant à des opérations militaires contre AQMI (Al Qaïda au Maghreb islamique) au Mali et au Niger.
- La France est accusée d’ingérence ou de néo-colonialisme en soutenant les dictatures pro-francais en Afrique.
- Sur le continent, la France donne fréquemment l’impression d’être obsédée par le maintien du statu quo et la défense des pouvoirs en place. Au point d’encourager les successions dynastiques. Au Gabon, avec Ali Bongo qui succède à son père lors d’une élection très contestée en 2009, ou encore au Togo. Dans cette ex-colonie française, Faure Gnassingbé a remplacé en 2005 Gnassingbé Eyadéma, après un scrutin également sujet à caution.
La France n’est pas la seule démocratie à soutenir des régimes en mal de légitimité. Mais les Etats-Unis donnent le sentiment d’être plus réactifs aux changements. Comme s’ils humaient mieux l’air du temps. Ainsi, en 1997, ils ont lâché Mobutu bien avant les Français, alors qu’ils l’avaient pourtant considérablement aidé à prendre le pouvoir et à s’y maintenir pendant trente-trois ans.
»La Présence de la Russie en Afrique »
À la suite de l’éclatement de l’URSS, l’influence russe s’est considérablement réduite en Afrique. Mais, depuis une dizaine d’années, Vladimir Poutine a de nouveau le regard tourné vers le continent. L’objectif est double : reconquérir ses anciennes zones d’influence et aller bousculer d’autres puissances mondiales –notamment la France– dans leur pré carré africain.
« Nous voulons doubler d’ici 4 à 5 ans les échanges commerciaux entre la Russie et l’Afrique [évalués à 20 milliards de dollars par an en 2020, ndlr] », avait-il déclaré, promettant dans la foulée des effacements de dettes et des aides militaires.
Ce grand retour de la Russie en Afrique est en train de gagner du terrain. L’arrivée des Russes s’est en effet accompagnée d’une campagne anti-française orchestrée de manière assez violente. On ne dénonçe pas seulement la politique de Paris mais on en appelle à s’en prendre aux Français sur place. Cette arrivée des Russes en Afrique signe de facto la fin de la relation exclusive que la France entretenait avec ses anciennes colonies depuis 1950, suscitant des tensions diplomatiques inédites.
Il y a aussi une opinion au sein des anciennes colonies françaises : il faudrait mettre un terme à la Françafrique et la Russie se présente comme celui qui aide et ne juge pas, versus la puissance coloniale et impérialiste. Une alternative considérée comme sérieuse. Ça, c’est un avantage que la Russie a aujourd’hui.
Longtemps considérée par la France comme son « pré carré », l’Afrique a développé depuis plusieurs dernières années un certain ressentiment envers l’Hexagone, dont le comportement est presque paternaliste et pas toujours exemplaire. Le président, Emmanuel Macron, a d’ailleurs appelé à tourner la page de la « Françafrique » lors d’un discours à Libreville le 2 mars. C’est un héritage du passé colonial mêlant pratiques opaques, réseaux d’influence troubles, corruption et collaboration avec des régimes autoritaires.
Il ne suffit pas de déclarer la fin de certaines pratiques pour que celles-ci cessent. A force de cécité, la France a perdu le capital de sympathie dont elle jouissait en Afrique et son influence en est d’autant plus réduite.
Par Guylain Gustave Moke
Analyste Politique et Géopolitique