Amina Mohammed, Vice-Secrétaire générale des Nations Unies, a ouvert le dixième Forum Régional Africain sur le Développement Durable (ARFSD-10) à Addis-Abeba, Ethiopie. Elle a demandé des actions urgentes pour augmenter les investissements en Afrique. L’objectif est d’atteindre les Objectifs de Développement Durable (ODD) fixés pour 2030.
L’un des principaux sujets abordés par Mme Mohammed concerne les difficultés financières des pays africains, principalement dues à la dette élevée. « Le service de la dette en Afrique a atteint un niveau record, laissant très peu de budget pour les investissements en développement durable« , a-t-elle expliqué. En effet, payer la dette a pris presque la moitié des revenus du gouvernement en Afrique subsaharienne l’année dernière. Cela signifie que l’argent qui pourrait être utilisé pour l’éducation ou la santé et la transformation énergétique va au remboursement de la dette.
Le forum se concentre sur la manière de trouver des solutions innovantes pour éradiquer la pauvreté, malgré les nombreuses crises que traverse le continent. Cette rencontre est essentielle pour définir les futures actions et pour renforcer les efforts pour surmonter les défis économiques et climatiques en Afrique.
Les pays africains ont besoin d’au moins 500 milliards de dollars par an. Ces fonds devraient servir à financer le développement de manière abordable et durable. Ainsi le changement dans les règles et institutions financières internationales est important pour réaliser cela. Il est plus que jamais nécessaire de changer le système financier mondial et les conditions de financement qui favorisent les économies durables.
Il est important que l’afrique trouve de nouvelles manières de financer le développement et utiliser ses ressources naturelles, ses opportunités en énergie renouvelable pour attirer des investissements qui respectent l’environnement. La Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf) pourrait aider à améliorer l’agriculture et la sécurité alimentaire en Afrique pour réaliser l’Agenda 2063.
L’ Agenda 2063 est le schéma et le plan directeur de l’Afrique visant à transformer l’Afrique en puissance mondiale de l’avenir. C’est le cadre stratégique du continent qui vise à atteindre son objectif de développement inclusif et durable, pour transformer l’Afrique en un continent prospère.
Mais pour beaucoup d’Africains, les « requins » de la finance internationale, de façon générale, et les institutions de Bretton Woods en particulier, sont les seuls responsables de l’endettement sans fin des pays africains. Sans dédouaner ces acteurs de leur part de responsabilité, il est désolant de constater que les premiers responsables du boulet de la dette que traînent les pays africains à leurs pieds depuis des décennies sont avant tout leurs propres dirigeants.
Certes les financiers ont une responsabilité mais les Etats africains emprunteurs ne sont pas innocents : dépenses expansives ; dépendance aux seules matières premières ; fiscalité dissuasive et mal gérée ; mauvaises habitudes consécutives aux remises de dettes multiples.
D’abord, l’augmentation rapide de la dette des pays africains est la conséquence des politiques budgétaires expansionnistes. Il s’agit des dépenses dans des infrastructures pharaoniques (« les éléphants blancs ») pas toujours en adéquation avec les besoins urgents de la population ; de nombreuses subventions distribuées pour des raisons politiciennes, du nombre pléthorique et souvent mal utilisé des fonctionnaires de l’administration, etc. Ces dépenses souvent improductives sans retour rapide sur investissement entrainent inéluctablement des déficits publics et rendent l’endettement incontournable.
Par ailleurs, la faiblesse des recettes de l’Etat constitue aussi un facteur favorisant l’endettement. Le niveau des recettes fiscales représente moins de 20% du PIB de ces pays ; un niveau largement inférieur à celui des pays de l’OCDE. De plus, la pression réglementaire et fiscale des Etats incite les entreprises formelles à se cacher et frauder pour échapper au poids écrasant de la fiscalité. Elle encourage aussi celles qui sont déjà dans l’informel à y demeurer.
Ce secteur est une composante essentielle de la plupart des économies subsahariennes, où sa contribution au PIB s’échelonne entre 25 % et 65 %[[FMI (2017), « Perspectives économiques régionales : Afrique subsaharienne Faire redémarrer la croissance », avril 2017]]. Donc au lieu de faire des réformes pour améliorer l’environnement des affaires et faire sortir les entreprises de l’informel et accroitre leurs recettes fiscales, les dirigeants africains choisissent la voie de la facilité en continuant de s’endetter.
Enfin, l’accoutumance aux différents mécanismes de réduction de la dette pourrait expliquer la tendance des dirigeants africains à vouloir toujours s’endetter. Depuis le milieu des années 70, les créanciers des pays africains ont élaboré différents mécanismes de réduction de la dette.
Ainsi, les mécanismes comme les Plans Baker et Brady, les Termes de Toronto (1988), les Termes de Londres (1991), les Termes de Naples (1995) et les Termes de Lyon (1996) et plus récemment l’initiative PPTE renforcée et l’initiative d’allégement de la dette multilatérale (IADM) ont été mis en place pour la réduction de la dette.
Les dirigeants africains semblent s’être accoutumés à ces mécanismes, dans le sens où même s’ils adoptent de mauvaises politiques publiques ils ont un filet de sécurité permettant de les protéger en gommant leurs erreurs. Ils n’ont plus d’incitations suffisantes pour combattre les causes de l’endettement conduisant toujours au ré-endettement.
Somme toute, pour pouvoir résister à la tentation de la dette, les dirigeants africains doivent d’abord améliorer la qualité des dépenses publiques à travers l’augmentation de l’efficience des dépenses, la redéfinition des dépenses prioritaires et la mise en œuvre d’une politique macroéconomique saine. Il s’agit aussi pour l’Etat de se consacrer à ses fonctions régaliennes en cédant certaines activités au secteur privé.
Ensuite, il apparait urgent d’augmenter les recettes fiscales des pays africains. Ces derniers doivent renoncer à la facilité et faire des réformes pour l’accroissement de la base imposable. Il s’agit d’améliorer l’environnement des affaires en réduisant la pression réglementaire et fiscale pour attirer le secteur informel vers le formel et augmenter ainsi les ressources de l’Etat et réduire le recours à l’endettement extérieur.
Enfin, il est indispensable de faire de la transformation structurelle des économies africaines la priorité pour amoindrir les effets des chocs consécutifs aux fluctuations des cours des matières premières. Bref, il faut sortir de l’économie de rente et aller vers l’économie productive du marché.
Par Guylain Gustave Moke
Analyste Politique/Géopolitique